CHAMP LIBRE
(performance allégorique sur les voyages)
/Je ne veux plus regarder les gens comme des souris dans une cage de verre,
je voudrais les regarder comme des êtres humains, avec compréhension et en
m’efforçant de saisir leurs carences les plus profondes, car moi-même,
non plus, je ne veux pas apparaître comme une taupe fraîchement né, qui était
allé tirer la chasse simplement parce qu’il était né avec ses frères et
sœurs un peu inutilement dans un
espace trop étroit./
Personnages:
Petr (33)
Irena (29)
Marcel (42)
Eduard (20)
Josef (55)
Bieta (55)
Tous les
personnages parlent une langue nationale, c’est à dire universelle.
La mise en
scène est possible seulement dans le cas où on arriverait
à joindre d’une manière raffinée le concevable et infaisable - la
pièce se déroule dans des voitures, sur des parkings, des autoroutes et
dans des hypermarchés. Plusieurs
possibilités s’offrent: soit on adopte un type de théâtre “site-specific”, qui exige des espaces atypiques, et la pièce est
montée, si ce n’est directement sur les lieux mentionnés, dans un endroit s’en approchant (usine, dépot de
carcasses, salon auto, route), ou bien le texte est amené sur une scène
de théâtre classique - mais avec des carosseries de voitures, des caddies, et
des rayonnages - et on évite au moins de cette façon les procédés traditionnels
(dans l’inspiration du théâtre hollandais contemporain non-conformiste).
Troisième possibilité: on peut s’affranchir du texte, créer un
happening dans un centre commercial,
invitant les passants à participer de manière non-violente et
à faire le spectateurs d’une image associative passagère, se
jouant simultanément à différentes places (les clients peuvent ainsi
passer des voitures à l’action en cours dans le magasin même). Le
point de départ et lieu le plus utilisé pourrait être alors le parking
avec ses rangées d’automobiles alignées soigneusement sur l’asphalte sans
limites; les différentes rangées sont indiquées par des pancartes avec des noms
de rue donnés selon les marchandises.
Scène
1.
Eduard, un
sac sur le dos, se tient debout le long de la route. Une voiture arrive en
face, dans laquelle est assis un homme à l’apparence ordinaire - Petr.
Il pèse du regard le jeune garçon - sur quoi il s’arrête, et
descend la vitre avec empressement.
PETR Tu vas ... quelque part ?
EDUARD Nous
sommes sur l’autoroute, alors - tout droit.
PETR Et
où veux-tu que je te dépose ?
EDUARD Au
bout de la route. Jusqu'où allez-vous ?
PETR Au
bout.
Petr sort de la
voiture et, à nouveau avec empressement, dépose le sac à dos
d’Eduard dans le coffre.
Tu es
étudiant ?
EDUARD Hum.
PETR Qu’est-ce
que tu étudies ?
EDUARD Ce… qu’on peut.
PETR C’est
à dire ?
EDUARD Je
ne sais pas encore exactement ce à quoi je vais me consacrer.
Petr monte dans la voiture et claque la porte.
Eduard fait la même chose.
PETR Moi
aussi j’ai fait des études.
EDUARD Lesquelles
?
PETR Ce
n’est pas essentiel. Je fais quelque chose de complètement différent.
EDUARD Hum.
PETR Par
ce temps c’est dur de faire du stop, hein ?
EDUARD Il
fait beau.
PETR Hum.
Il ne fait pas mauvais.
Petr démarre. Ils s’en vont.
EDUARD Vous
avez une très belle voiture.
PETR Il
y en a des mieux, mais je me plains pas, tu sais. Si j’avais une super bagnole,
je rentrerais certainement dans quelqu’un. Mais cela ne veut pas dire que je
devrais aller avec une bagnole toute rafistolée et branlante, qui rappelle des
souvenirs que je préfererais oublier.
EDUARD Mais
vous, vous n’allez pas avec une voiture comme ça.
Petr regarde le ciel éloquemment.
PETR Il
va certainement y avoir un orage. Tu fumes ?
EDUARD Non.
PETR Soit
heureux, moi non plus.
EDUARD En
fait oui, mais j’en ai pas envie.
PETR Tu
peux tranquillement en allumer une, ça me dérange pas.
EDUARD De
toute manière je n’ai pas de cigarettes.
PETR Dommage;
si tu en avais, je m’en taperais une exceptionnellement avec toi.
EDUARD Dans
la voiture, ça serait immédiatement sale.
PETR Qu’est
ce que tu veux dire ?
EDUARD Les
cendres, la fumée etc.
PETR J’espère
qu’il ne va pas commencer à pleuvoir. Après ça roulerait mal.
Parce que lorsqu‘il y a un orage, les voitures
se collent immédiatement les unes aux autres, et un malheur n’est jamais loin,
tu sais.
EDUARD Je
ne pourrais pas conduire.
PETR J’avais
aussi peur. Mais, tu sais - en vieillissant, rien de tout cela ne t’apparait
suffisemment dangereux - tu finis même
par avoir le sentiment, que tu viens à bout de tout, et en plus
tu commences à prendre le danger comme une fuite désirée de la grisaille. Le voyage attire
malgré tout. Le risque, l’adrénaline du fisc.
EDUARD Bon
ben accélérez.
PETR Tu
es pressé ?
EDUARD Non.
Petr accélère
comme pour un rallye automobile. Il dépasse presque tous les autres.
PETR Un
demeuré nous fait signe à l’arrière qu’on est des cinglés.
EDUARD Et
nous ne faisons que nous amuser.
PETR De
son incapacité à apprécier la vie dans ses plus légères nuances.
EDUARD De
son incapacité à éveiller l’essence primordiale de tout être.
PETR Le
désir du danger.
EDUARD Il pouvait faire la course.
PETR Ouais...
EDUARD J’étais - je ne suis pas- je serai
en prison.
PETR Tu
fais du stop souvent et sans craintes mon garçon ?
EDUARD Les
enfants tiennent dans leurs
PETR mains à la place d’une
fronde
EDUARD le
volant, sur la terre
PETR battue
ils piétinent le monde.
EDUARD Ils
portent en
PETR eux
des corps,
EDUARD les
élans
PETR suivent
les rennes.
EDUARD Les
luges rouges,
PETR les
angles,
EDUARD les
brides fluettes,
PETR les
veines...
EDUARD Aujourd’hui,
PETR la
confusion règne,
EDUARD la
vitesse,
PETR les
gens riches,
EDUARD la
vie courte,
PETR les
plaines libres,
EDUARD les
vomissements des mères dans la poisse...
PETR + EDUARD Chassons
les !
Petr maintenant va si
vite que partout brillent les lumières des phares.
Scène 2.
Dans le centre
commercial. De temps en temps, on entend les haut-parleurs diffuser :
:« Carrefour casse les prix ! » . Irena pousse un cadis et parcoure interminablement les allées, ici et là, comme si elle
ne pouvait pas se décider sur ce qu’elle voulait au juste acheter.
Un vendeur s’approche d’elle.
MARCEL Puis-je
vous aider ?
IRENA Je
pense, que mieux vaudrait pas.
MARCEL Peut-être
que vous avez besoin ...
IRENA Comment
ça vous est-il venu à l’esprit?
MARCEL Il
y a beaucoup de choses ici, et je
comprend tout à fait, que vous ayez oublié ce dont vous aviez
besoin.
IRENA Je
pensais... Je voulais... J’avais besoin de quelque chose pour... ou plutôt...
Mais je pense de toute façon que
vous n’avez pas cela ici.
MARCEL Qu’est-ce
que vous voulez dire?
IRENA Je
ne sais pas comment ça s’appelle exactement, mais il y avait il y a un moment
une pub. On la voyait partout.
MARCEL Alors
dites-moi au moins , si c’est pour le linge ou pour la vaisselle ou... rien
d’autre ne me vient plus en tête -
c’est à dire, au moins, dans ce dont vous pourriez avoir besoin,
quand je vous regarde comme cela...
IRENA Vous
savez, mon mari...
MARCEL Où
est-il? Il aurait besoin de réparer quelque chose, c’est ça ?
IRENA Je
trouverai pas d’outillage ici - il faudrait que j’aille dans ce... euh...
comment ça s’appelle - je suis pas si bête! Il aurait plutôt besoin de
quelque chose qui le... si vous me comprenez...
vous avez raison en fait, il
aurait besoin d’une réparation. Vous savez, mon mari gagne beaucoup
d’argent, donc nous pouvons nous permettre pour ainsi dire tout. Nous avons
absolument tout ce qu’il nous faut - nous mangeons comme dans les magazines
(j’achète seulement ce qu’il y a de mieux), à la maison nous
avons une salle de musculation, un bain à remous, et même un
sauna...
MARCEL Qu’est
que je peux faire alors pour votre service?
IRENA Il
aurait peut-être besoin d’une...
MARCEL D’une
cassette vidéo ou d’un comprimé?
IRENA C’est
cela! Vous n’avez pas de médicaments?
MARCEL Il
faut aller dans une pharmacie, madame...
IRENA Et
il n’y en a pas ici? Mon mari à vrai dire...Vous savez, nous vivons
ensemble depuis cinq ans, et en tout ce temps, pendant lequel nous avons été
ensemble...Vous me comprenez - Il est grand temps que nous ayons des enfants.
Je lui propose tous les jours, mais ça ne lui dit rien. Au début, ça allait
à peu prèt, seulement après, ça a commencé à se
dégrader, et dans tout - nous étions ensemble déjà si longtemps, que
nous devions tout simplement nous marier. Mais moi, je ne veux pas finir ma vie
avec lui comme cela, dans la solitude, si vous me comprenez.
MARCEL Comment
est-ce que je pourrais vous aider?
Irena se pend à son cou et se met à
pleurer.
IRENA Vous
êtes si gentil! Et en même temps si...
MARCEL Innocent,
je sais. Vous prenez des contraceptifs?
IRENA Qu’est-ce
que vous voulez dire?
MARCEL Peut-être
qu’il vous est arrivé une complication. Vous ne vous êtes pas fait
examiné?
IRENA Je
suis pas si bête que j’en ai l’air.
MARCEL Peut-être
que vous ne l’excitez pas assez. Mais dans ce cas là il y a quelque
chose à faire... Vous avez essayé toutes les pratiques sexuelles?
IRENA Vous
voulez dire que j’aurais du essayer toutes les cochonneries, qu’ils montrent
à la télé?
MARCEL Je
veux simplement dire, que vous devriez vous assurer de ce qui excite vraiment
votre mari.
IRENA Vous
savez... Je suis ici en voiture, si vous me comprenez. Vous ne pourriez pas me
raccompagner? Tout cela m’a un peu perturbée...
MARCEL Mais...
IRENA Nous
ferons juste un petit bout de chemin ensemble, allez... venez!
Scène 3 (voiture n°1)
La route
PETR Le
temps passe relativement vite, hein?
EDUARD Ouais,
relativement, ouais.
PETR Avec
les autostoppeurs, c’est immédiatement plus agréable.
EDUARD Ca
passe plus vite.
PETR Et
lorsque deux personnes ont des choses à se dire... Imagine toi, que je
passe presque toute la journée dans la voiture, pour remettre du fric à des
gens, ou pour leur donner des renseignements; je vais de ville en ville -
constamment en bagnole! Le soir je reçois le programme de tout ce que je dois
faire le lendemain, sinon je fais ce que je veux. Je ne supporte pas, quand on me prend pour un
imbécile, et principalement je n’aime pas revenir quelque part - tu vois ce que
je veux dire, sur l’autoroute ce n’est pas aussi simple - alors je
préfère débrancher mon portable, pour que personne ne puisse me joindre.
Avant de rentrer à la maison, au prèt de ma vieille, je fais en
général plus de cinq cent kilomètres, et je ne compte pas le nombre de
kilowattheures passées au supermarché.
EDUARD Mais
vous vous déconnectez sûrement, parce que vous avez peur que votre femme
vous attrape avec une...
PETR Par principe je ne trompe pas les
femmes.
EDUARD Et
vous en avez combien ?
PETR Une.
EDUARD Alors...
le stéréotype ?
PETR C’est
à peu près cela.
EDUARD Il
faut que je fasse attention.
PETR A
chacun son tour... Tu sais comment ça se passe... Merde, il va pleuvoir.
Petr fait gicler sur
le pare-brise le produit nettoyant, et fait fonctionner un instant
l’essuie-glaces.
EDUARD Pourtant
il ne pleut pas encore.
PETR C’est
égal. Tu as peur de l’orage ?
EDUARD Non.
PETR Et
des pervers ?
EDUARD Il
y en a un peut-être ici ?
PETR Je
peux te demander quelque chose ?
EDUARD Pas
de problèmes.
PETR Ou
plutôt non. Je laisse ça pour plus tard.
EDUARD C’est
une question personnelle ?
PETR Nous
ne nous connaissons pas encore si bien, pour que tu doives me confier des
détails intimes.
EDUARD Pour
que je doive ?
PETR Tu
connais ça... On est toujours en voiture... On voudrait savoir quelque chose.
EDUARD Vous
ne vouliez pas me demander si j’ai une copine ? Aucune fille ne veut de moi.
PETR Pourquoi
? Pourtant tu es jeune, mignon, bien foutu...
EDUARD Je
suis peut-être trop intelligent pour elles, vous savez...
PETR Tu
peux tranquillement me tutoyer.
EDUARD Ce
n’est pas convenable. C’est comme avec les cigarettes - même si j’en
avais, je ne fumerais pas dans votre voiture. Et si vous en aviez, vous, et
m’en offriez (comme si j’y avais pensé, parce que vous aviez demandé, si je
fumais) je refuserais pareillement.
PETR Tu
es rudement malin. Ta mère doit
être très fière de toi, hein ?
EDUARD Plutôt,
elle a peur que quelque chose m’arrive.
PETR Tu
es pourtant un homme ! Ou bien non ?
EDUARD Tant
que je n’ai pas fait mon service, je suis une lavette.
PETR Ou
bien tant que tu n’as pas planté ton arbre, construit ta maison, et engendré.
EDUARD Vous
avez déjà rempli toutes ces choses ?
PETR Aujourd’hui
les frontières se sont déplacées quelque part ailleurs. Je me suis
eniaisé au service, je n’ai pas envie de construire ma baraque - que quelqu’un
d’autre la construise; et l’arbre, je ne l’ai pas encore planté, même si
c’est relativement la chose la plus simple à faire. Ouais, et personne
ne vient à moi pour faire des enfants.
EDUARD Vous
n’aimez pas les enfants ?
PETR Des
soucis inutiles. Je suis déjà continuellement stressé.
EDUARD Il
n’y a pas de vie sans tracas. Quand bien même vous seriez totalement
seul, vous auriez encore le souci d’être seul.
Petr fait à nouveau fonctionner l’essuie-glaces.
PETR Et
si je ne m’arrêtais pas, alors tu n’arriverais peut-être nul part.
Mais peut-être que cela ne te
dérangerait pas tant, parce que tu te serais rendu compte entre temps, que le
lieu, où tu avais précisément
besoin de te rendre, avait déjà peut-être perdu son sens,
et c’est pourquoi tu préfèrerais te retourner et faire du stop dans la
direction opposée, pour fuir tout cela, ce qui ne fait que te ligoter, te
détruire et te tuer. A la fin, tu finirais en dehors de ce monde jusque
là vécue, et tu recommencerais tout, depuis zéro. Comme une feuille
vierge. Tu sais ce que je donnerais pour ça, pour que je puisse trouver en moi
une parcelle de courage pour le faire ?
Dire adieu à cet amoncellement d’inutilités accumulées,
n’attendant de toute manière que cela; et s’envoler quelque part loin.
EDUARD Vous
voyez, vous n’êtes pas bête non plus. Chacun peut influencer le
cours de sa vie.
PETR C’est
ce que vous dites, vous les jeunes, car
vous n’avez aucune obligation et encore
moins la moindre parcelle de responsabilité, pour que vous commenciez à
ressentir une quelconque obligation. Mais pourquoi ne pas le faire ? Et si toi
tu tenais le volant à ma place, et si nous n’allions pas le moins du
monde au bout de la route, mais à son début ? Tu sais comment ça se
passe, nous atteindrions le même but avec d’autres moyens.
EDUARD Ce
serait extrèmement lâche et égoiste vis à vis de vos proches.
PETR Je
n’ai aucun proche ! Il n’y a ici que
nous deux !
EDUARD Je
dois aller à l’école.
PETR Au
moins un jour ou deux ! Se déconnecter, j’ai besoin de me déconnecter, de tout
oublier.
EDUARD Il
faut que j’y aille !
PETR Tu
dois juste pisser. Tu es à l’école élémentaire ou quoi, pour qu’on
puisse remplir une note au sujet de ton absence ?
EDUARD J’ai
un travail en cours.
PETR Ou
plutôt une fille, c’est ça ? Qu’est ce qu’on va faire de toi ? Un ingénieur ou
un docteur ?
EDUARD Ce
ne sont pas vos affaires.
PETR Tant
que tu vis, alors vis ! Quand tu auras des engagements, ce sera de plus en plus
difficile pour toi d’être libre.
EDUARD Je
reste libre même comme cela, et je n’aurais jamais d’engagements.
PETR Tu
ne me comprends absolument pas ! Je t’ai invité en voyage !
EDUARD Pourquoi
est-ce que je devrais partir avec vous quelque part, alors que je ne vous connais
pas du tout ?
PETR Tu
ferais une bonne action, tu m’aiderais...
EDUARD Laissez
tomber - vous êtes cinglé ou quoi?
PETR Pardon,
pardon, je suis lourd, je sais. Je me suis seulement dit, que nous pourrions
aller ensemble quelque part, dès que je t’ai pris en stop... Je ne sais
pas ce que je dis, pardonne-moi. Ces derniers temps je n’ai pas la notion du
temps et je n’ai absolument pas conscience, que le temps coule pour chacun
différement. Oublie tout cela.
Petr fait
fonctionner encore une fois l’essuie-glaces.
Mais
qu’est-ce que je fais au juste, alors qu’il ne pleut pas ?
EDUARD Ne
vous inquiètez pas, cela va commencer.
Scène 4. (voiture n°2)
Parking. Dans la voiture.
IRENA Bon
alors, où est-ce que ça vous fait plaisir?
MARCEL Quoi
pardon?
IRENA Où
voudriez-vous aller?
MARCEL Je
m’en remets à vous, mais...
IRENA Ne
faites pas le difficile, une telle occasion ne s’offre pas à tout le
monde, et en aucun cas chaque jour.
MARCEL Je
veux que vous sachiez que...
IRENA Je
ne veux rien savoir. Je ne veux pas même
connaître votre nom et encore moins vos problèmes.
MARCEL Pourquoi
donc alors m’avez vous entraîné ici ?
IRENA Vous
êtes comme un petit enfant.
Irena démarre la voiture.
MARCEL Et
vous, vous êtes au contraire relativement sans compromis.
IRENA Mettons
nous en route, et nous verrons où cela nous amène.
MARCEL Vous
vous imaginez alors, que...
IRENA Moi
je ne m’imagine rien, c’est plutôt vous qui vous vous imaginez – c’est quand
même vous qui m’avez abordé.
MARCEL Je
voulais vous aider.
IRENA Et
vous voyez - vous travaillez déjà à cela !
MARCEL Ils
vont me chercher !
IRENA Nous
pouvons rester sur le parking.
Irena éteint le moteur.
MARCEL Vous
voulez peut-être quelque chose de moi, dont je ne suis pas capable...
IRENA Mais
ne vous racontez pas d’histoires ! Quand
vous avez commencé quelque chose, alors vous devez le mener au bout.
MARCEL Vous
voulez que je vous fasse un enfant ?
IRENA Vous
ne me comprenez toujours pas ! Il s’agit
plutôt pour moi de... si vous me comprenez... Vous savez, mon mari...
MARCEL Je
ne sais pas comment commencer... C’est un peu bizarre...
IRENA Je
vous parais affreuse? Je ne vous attire pas?
MARCEL Mais
non, seulement...
IRENA Allez
y! Je suis drôlement curieuse de voir, ce que vous allez prétexter!
MARCEL Je
n’ai encore jamais...
IRENA Vous
n’avez encore jamais vu une aussi belle femme que moi? Ça me fait plaisir!
MARCEL Jamais
je n’ai...
IRENA Bon,
ça suffit. Vous me compterez fleurette à un autre moment.
MARCEL Jamais...
IRENA Soyez
un homme d’action - à la différence de mon homme.
MARCEL Je
n’ai encore jamais couché avec quelqu’un.
IRENA Mon
dieu! Quel âge avez-vous?
MARCEL Quarante-deux
ans.
IRENA Attendez
- et vous n’êtes pas par hasard un de ces gays timides, qui n’ose pas
avouer franchement ce qui les branche, putain ?
MARCEL J’ai
peut-être l’air comme eux?
IRENA Non,
vous avez plutôt l’air de ceux, qui
laissent leurs photos sur le net pour de l’argent, peut-être afin
de satisfaire ces malheureux...
MARCEL Des
gens convenables, qui vivent en dehors de cela une vie rangée auprès de
riches épouses, hein ? Il est en effet pour moi grand temps!
MARCEL Plutôt
je ne sais pas comment commencer...
IRENA Commencez
depuis le commencement.
MARCEL Je
m’appelle Matiej...
IRENA J’en
ai rien à foutre de votre nom! Vous devez... vous devriez...
Calmez-vous. Vous savez, j’ai pensé, que vous l’aviez pensé... Maintenant, tout
à coup, je ne peux pas croire que vous... Vous avez été tout ce temps
comme... vous me comprenez cependant... Vous n’avez sérieusement jamais rien
tenté?
MARCEL Je
n’ai pour l’instant pas rencontré la bonne personne.
IRENA Pour
l’instant! Vous comptiez encore l’attendre? Comme si moi peut-être
j’étais tombé sur le bon! Je vous ai pourtant parlé de lui!
MARCEL J’ai
eu tant de possibilités...
IRENA Avant
tout, ne pleurnichez pas devant moi. Aucune femme n’est assez bonne, pour qu’un
homme doive souffrir pour elle. Je travaille déjà depuis dix ans dans
une agence de pubs! Vous pensez, que ça impressione les hommes? Non. Dites, je
vous plait?
MARCEL Normalement.
IRENA Bon
sang, faites enfin quelque chose !
MARCEL Nous
ne pouvons tout de même pas rester ici.
IRENA Bien,
alors je vais démarrer - mais promettez-moi de commencer.
MARCEL Vous
ne voulez pas commencer plutôt vous ?
IRENA C’est
vous qui avez commencé avec cela. Alors continuez! Je ne suis pas un mec tout
de même!
MARCEL Mais
vous êtes celle qui a besoin de quelque chose...
IRENA J’avais
besoin de... Je ne vous ai rien demandé!
MARCEL Vous
avez quand même plus d’expériences...
IRENA ...Vous
savez conduire?
MARCEL Je
me rappellerai peut-être.
IRENA Alors,
asseyez-vous à ma place.
Marcel sort avec
Irena de la voiture, et ils changent de places. Marcel semble hésiter un moment
comme s’il voulait disparaître.
Vous vouliez vous enfuir?
MARCEL Non,
j’ai seulement pris peur de perdre ma place.
IRENA Ici,
c’est votre place maintenant. Tout
s’arrangera, n’ayez pas crainte. Démarrez.
Marcel démarre.
Allez y!
Marcel commence à rouler.
MARCEL Et
où?
IRENA N’importe
où.
MARCEL Vous
avez déjà commencé?
IRENA Pas
encore.
MARCEL Quelque
chose m’a chatouillé sous le ventre.
Scène 5.
(voiture n°1)
Il y a deux voitures simultanément sur la scène.
PETR Moi
et ma femme, nous avons chacun notre voiture, mais par principe nous faisons
les courses séparément. Et cependant dans exactement le même magasin.
Elle achète en général ce qu’elle peut porter, et moi par contre ce que
je ne suis pas capable de porter en une seule fois, tu vois le plan. Je
m’arrête pour quelque chose à la station-service. Tu viens avec
moi, ou tu attends dans la voiture ?
EDUARD Je suis relativement pressé, alors
je vais peut-être descendre et essayer d’arrêter quelqu’un d’autre.
PETR Personne ne s’arrêtera
pour toi ici - ou alors un pervers. Ne dis pas n’importe quoi...
Petr gare la
voiture.
EDUARD Ça va vous prendre combien de temps ?
PETR Je vais juste acheter quelque
chose à boire.
EDUARD Alors vous allez être tout de
suite de retour.
PETR Toi - tu n’as pas soif ?
EDUARD Même pas.
PETR Je fais mes grosses courses
quand je suis dans un centre commercial, tu connais cela.
EDUARD Hum.
PETR Et tu es sûr que tu ne
veux pas venir avec moi ?
EDUARD Allez y seul.
PETR Et tu n’as pas besoin de
quelque chose ... pour l’école ?
EDUARD Je suis votre fils ou quoi ?
PETR Je demande simplement. Tu es
dur ?
EDUARD Quoi ?
PETR Tu sais très bien
à quoi je pense.
EDUARD Je devrais peut-être ?
PETR Moi, oui.
Eduard se met
à rire.
EDUARD Vous êtes pédé ?
PETR Je suis tout de même
marié.
EDUARD Alors pourquoi vous bandez ?
PETR Qu’est-ce que j’en sais ??
EDUARD Vous êtes une folle !
PETR Qu’est-ce que tu te permets,
morveux !
EDUARD Ne vous fachez pas, mais je
préfère descendre.
Eduard veut
ouvrir la portière, mais Petr déclenche la fermeture automatique des
portes (clic-clac).
(voiture n°2)
Irena et
Marcel continue à résoudre le problème de la conception de la
conception. Irena lui passe les doigts sur le bas-ventre.
MARCEL Quelque chose m’a chatouillé sous
le ventre.
IRENA Concentrez-vous sur la route.
MARCEL Et comment donc vous appellez-vous
au juste ?
IRENA /elle invente un nom
d’emprunt/ ... Iveta.
MARCEL Iveta ou Ivona, Ilona ou Irena...
IRENA Comme ça, ça va peut-être
pas marcher. Il va falloir que nous nous arrêtions.
MARCEL Et où est le problème
?
IRENA On devrait en arriver à
s’assembler - et cela n’est pas possible quand vous roulez, vous pigez ?
MARCEL Mais dites moi où je peux
m’arrêter ici, quand nous sommes sur l’autoroute ?
IRENA Il faut que nous revenions sur
le parking.
MARCEL Nous sommes sur l’autoroute!
Comment puis-je me retourner ?
IRENA Alors allez tout droit. Vous
avez senti au moins quelque chose ?
MARCEL Quelque chose de petit.
IRENA Au moins quelque chose.
Là-bas il y a une voie d’arrêt - obliquez et arrêtez-vous.
MARCEL Quand est-ce que vous et votre mari
avez pour la dernière fois...
IRENA J’ai eu un orgasme... /Irena
commence à être excitée/ Je n’arrive pas à m’en rappeller...
Vous êtes si innocent et cependant si...
MARCEL Gentil, oui je sais. Il semble que
votre besoin est absolument impossible à assouvir.
IRENA Plutôt - impossible à
dompter. Est ce que ce ne serait pas plutôt moi qui devrait vous demander quelle
est votre dernière expérience ?
MARCEL Nous y sommes. Je dois laisser
allumé le moteur?
IRENA Comme vous voulez. Et ne me
regardez pas comme ça. Je ne sais pas ce que je dois en penser.
MARCEL Et qu’est-ce que je dois faire
selon vous ?
IRENA Fermez les yeux.
Marcel ferme
les yeux, elle lui repasse à nouveau la main sur le bas-ventre.
MARCEL Ça chatouille!
IRENA Vous êtes comme un petit
enfant! C’est avec vous absolument impossible de normalement ... Dire que je
vous ai choisi justement vous !
MARCEL Vous avez dit vous-même
que...
IRENA Taisez-vous maintenant. Et
pensez par exemple... à...
MARCEL À vous ?
IRENA Par exemple.
(voiture n°1)
EDUARD Pourquoi c’est pas possible
d’ouvrir? C’est vous qui avez fermé?
PETR Du calme, mon garçon, je ne
bande plus. Regarde!
EDUARD Laissez- moi immédiatement sortir ou
bien je me met à crier!
PETR Tu veux que je te fasse du
mal? Je t’ai dit, que tu peux être tranquille.
EDUARD Alors vous n’allez pas me faire de mal
?
PETR Je ne le voudrais pas et c’est
pourquoi justement tais-toi.
EDUARD Mais vous me promettez, que vous
n’allez plus même me toucher, et cela jusqu’à que vous vous
arrêtiez, et que vous me laisserez sortir alors sans faire de
problèmes, et que vous ne partirez pas avec mes affaires - ou bien je
n’oublierais pas jusqu’à ma mort votre numéro de signalisation.
PETR Tu me menaces, nabot ! Tu es pourtant un mec, non ? Putaing ! Si au lieu de cela, tu me cognais plutôt,
pour que je me resaisisse enfin, pour que quelque chose se passe! Tout serait
différent, tout.
(voiture n°2)
MARCEL Il se passe quelque chose?
IRENA Vous devez m’aider!
MARCEL Quand c’est si bizarre, dans une
voiture...
IRENA Vous savez, j’ai pensé que... Vous
ne vouliez pas aux toilettes, au bureau non plus. Alors où est donc le
problème? Vous êtes pire que mon mari!
Irena descend
de voiture.
Descendez.
MARCEL Il va pleuvoir.
IRENA Au moins ça va nous raffraichir.
(voiture n°1)
PETR Je me resaisirais. Tu sais,
toute la journée je suis assis dans une voiture.
EDUARD Et le soir, vous n’êtes pas
avec votre femme?
PETR Ouais, mais elle me
considère pas comme avant. Parfois même je fais comme si je
n’étais absolument pas là.
EDUARD Comme mon père.
(voiture n°2)
Marcel est
descendu entre temps de voiture, et il est
monté avec Irena sur le talus.
IRENA Allongez-vous.
MARCEL Allongez vous, vous.
IRENA Mais nous n’allons pas
réciproquement nous...
MARCEL C’est vous qui le souhaitiez.
(voiture n°1)
EDUARD Vous êtes tout simplement un
incapable.
PETR Mais fidèle! J’avais
la trique, parce que l’orage se prépare,
parce que l’air ici est différent que dans cette ville de merde, et
parce que tu es jeune, mignon...
EDUARD /Il ne la laisse pas finir/
Encore ?!
(voiture n°2)
IRENA Il y a quelque chose qui vous
dérange ici ?
MARCEL On nous voit de tous les côtés.
IRENA Alors roulez en bas.
Marcel et
Irena se roulent dans la pente.
MARCEL Aïe!
(voiture n°2)
PETR Si tu cries, tu ne sortiras
jamais d’ici, c’est clair?
Petr démarre
la voiture.
Allons-nous
en.
(voiture n°1)
IRENA Qu’est-ce que tu as?
(voiture n°2)
EDUARD J’ai soif.
(voiture n°1)
MARCEL Il y a des chardons ici!
(voiture n°2)
PETR Moi aussi.
Scène
6.
Josef et
Bieta (un grand-père et une grand-mêre) sont dans une voiture qui
tombe en ruines et roule à peine (ou bien: ils sont dans un autobus, qui
conduit les clients au centre commercial). Ils se réjouissent certes du voyage,
mais le « complexe socialiste » dont ils souffrent visiblement, laisse entendre
qu’ils voudraient avoir plus de tout.
BIETA Qu’est-ce qui nous manque
encore?
JOSEF Qu’est-ce que nous n’avons
encore pas, selon toi ?
BIETA Une machine à laver...
la vaisselle, un mixeur...
JOSEF ... un robot ménager, des couverts, un sécheur...
BIETA ...une machine à
laver... le linge, une essoreuse...
JOSEF ...un micro-ondes, un
sèche - cheveux et une tondeuse...
BIETA ... et puis un économe, et un
percolateur...
JOSEF ... et aussi un couteau, et un
avale-odeurs...
BIETA ... et également un bain...
moussant, une bouilloire...
JOSEF ... une table de ping-pong, en
tout cas l’arrosoir...
BIETA ... une chambre noire, le wap,
une pendule digitale...
JOSEF ... et puis le téléphone...
portable, une poèle...
BIETA ... le surf, le cyber-chat,
les mails et internet...
JOSEF ... des soins de beauté,
en...fin un jeu de fléchettes.
Nous avons
déjà tout cela, excepté les articles les plus modernes, parce que bien
que nous ayons assez d’argent pour cela, nous ne nous les procurerons plus
jamais, car seuls nos petits-enfants les comprennent, et nous, c’est trop tard
pour que nous puissions jamais les comprendre.
BIETA Jusqu’où pourrions-nous
avoir le toupet de les suivre ?
JOSEF Et à quoi pourrions nous
jouer devant eux?
BIETA Qu’est-ce qui nous manque
encore?
JOSEF Un brûleur automatique, un
avale-poussières, un irradiateur, un éliminateur, un calfeutrateur,
un clignotement d’alarme au cas où, un repose-genoux, et - ce qui est de tout le
plus important et donc aussi le plus irremplacable et ce que dans aucun cas
nous ne devons oublier, un compriméamincissantpourprévenirdelagraisselesquéquettes.
... Nous devrions laisser tomber tout cela, et nous acheter
plutôt une nouvelle et meilleure voiture, comme ils ont tous.
BIETA De toute manière les
routes sont égratignées.
(Dans le cas
où la scène se déroule dans leur voiture:
JOSEF C’est
justement pour cela que cela nous secoue comme des squelettes.)
BIETA Nous pouvons aller au centre
commercial en autobus. Tu aimes les voitures, et moi j’aime par contre le
confort domestique. Sans toutes ces choses nous serions cependant morts depuis
longtemps.
JOSEF Je n’ai jamais eu besoin de rien
de tout cela.
BIETA Et ton dos - quand il te
faisait mal ? Est-ce que ce n’est pas notre ultramobile corpocourreuse Boulette équipée d’une rallonge de rechange
avec une pression d’intensité allant de 1 à 10 qui t’a massé?
JOSEF Pour me raser je n’ai jamais eu
besoin de rien d’autre qu’une lame ordinaire et du savon à 50 centimes.
BIETA Mon pauvre chou! Tu sais
comment tu te sentirais bien si de temps en temps tu te laissais raser par une
machine hypermoderne dans un supergigamacromegamarché ?
JOSEF Tu veux vivre comme dans un
bouquin de science-fiction? Nous sommes peut-être des cosmonautes? Eh
quoi, nous vivons sur la lune?
BIETA Pas encore, mais j’ai parfois
l’impression que je vis avec un parfait a... ana... anal... analphabète!
JOSEF Ou avec un anachorète,
tiens ? Tu m’as toujours reproché mon absence de foi, mon absence de foi
à un meilleur avenir, mais en
même temps c’était toi et c’est toujours toi qui gère la marche de
la maison et détermine les directions, les choix et les achats incessants de matières premières dans un
réseau... de déterminations.
BIETA Quelles déterminations? La
détermination de quoi?
JOSEF La détermination du marché, la
surface des palettes, le choix des marchandises, le champ des forces de
consommation. Plus nous vendons de quelque chose, plus nous en achetons, et
plus nous en achetons, plus nous en vendons.
BIETA Quand... nous rentrerons, nous
déballerons. Nous répartirons les achats uniformément à travers
l’appartement, selon leur appartenance, et nous nous délecterons. Nous nous
délecterons de la merveille de ses possibilités qui nous sont offertes, et dont
nous pouvons profiter.
C’est
comme si Josef délaissé avait cessé de
conduire la voiture (comme si l’autobus
s’était arrêté en même temps que les autres voyageurs). Bieta
descend et se place devant le capot. Ainsi à l’avant-scène, sur
la route, elle commence à raconter ses amours de consommatrice.
Je dis toujours que
c’est une merveille d’avoir tant de choses à la fois, mais un instant
après j’ai le sentiment (et cela se répète), qu’il nous manque
toujours quelque chose, que nous avons oublié quelque chose, et c’est pourquoi
nous devons à nouveau et rapidement lancer l’assaut. C’est déjà
notre sixième télévision dans l’ordre, et du tournedisque nous sommes
passés au ...
JOSEF Au lecteur de disques.
BIETA Merci... Et pourtant j’ai tout...
ou plutôt - je n’ai pas le bon ... Comment on dit, Pepa ?
JOSEF Feeling.
BIETA Ouais, le filingue! ... J’ai
le filingue que tout n’est pas O.K. et que quelque chose nous manque.
JOSEF Peut-être que si elle me
le demandait, je lui dirais quoi.
C’est comme
si Josef a Bieta se parlaient aux spectateurs, à savoir indépendamment
de soi.
BIETA Tu ne sais pas ce qui nous
manque encore, Pepa?
JOSEF Tu penses qu’il nous manque
quelque chose?
BIETA Penses-tu. Entrons au centre
commercial, et nous verrons bien.
JOSEF Tôt ou tard , quelque chose va
nous revenir, hein ?
BIETA Tôt ou tard.
Bieta va
cueillir dans le champ les fleurs qui poussent le long de la route, et Pepa se
déplace à l’endroit où se tenait un moment auparavant sa femme.
Les nuages deviennent menaçants.
JOSEF Elle voulait le sourire Colgate,
elle l’a eu. Elle voulait faire des exercices avec un tuyau en caoutchouc, elle
les a faits. Sur sa tombe elle voulait des lettres en or... Nous les avons
cherché partout! On est bien? Oui. Alors pourquoi elle veut toujours, que ça
aille mieux? Moi, plus le temps passe, moins ça va, je me noie dans ces
inventions, je ne sais plus où je suis; je suis obsédé par le désir de disparaître, je voudrais
m’évaporer. Quitter la réalité. Et
principalement la cuisine, parce qu’elle est avant tout comble, envahie
par les instruments, les fantômes, qui lui nettoient la libido. L’odeur
insistante qui sort de la cuisine se répand dans toutes les parties de la
maison. Comme si la cuisine était partout, comme si partout quelque chose se
préparait, se mitonnait , se cuisait, se pétrissait. Autrefois je
collectionnais les petites voitures. Pour que je puisse au moins les voir en
modèles réduits, quand nous n’avons déjà plus rien pour quoi on
irait jeter un regard dans le garage. Je passe mon temps à la réparer,
cette vieille rosse. Et les pièces de rechange, les pièces
détachées nécéssaires pour que nous puissions encore nous en servir sont venus
se rajouter constamment aux petites
voitures. Les vis et les écrous sont restés, les petites voitures, on a
dû les jeter. Pour faire de la place aux outils. J’appelle cela la
dératisation sans préavis. Me torture la réalisation des promesses non-dites et
des agréments non-écrits. Un non-sens. Et
la pénitence? Qui peut accuser qui ?
Qui peut dénigrer qui? Dans le temps j’ai été amoureux. Aujourd’hui je souffre pour cela de la perte de ma
liberté propre.
Josef pendant
son monologue se déplace jusqu’au champ.
BIETA Pourquoi nous nous tenons
là? Comment ça se fait-il, que nous ne partions pas? Je pensais que nous
étions en route! Nous badaudons au
milieu d’un champ.
Scène
7.
(voiture n°2)
A l’extérieur
devant la voiture. Irena s’habille et Marcel se reboutonne.
IRENA Je pense que c’étais pas si mal
- du moins pour une première
fois.
MARCEL Je ne me suis même pas
apperçu que c’était terminé.
IRENA Pour plus de sécurité, nous devrions
recommencer - personne ne me garantit que je suis enceinte.
MARCEL Ils vont me chercher!
IRENA Vous aviez besoin de vous
détendre un peu - non? Allons à la montagne! Fini la civilisation!
MARCEL Je refuse de partager avec vous
cette voiture!
IRENA Si vous voulez, vous pouvez
faire du stop, mais je vous préviens
avant, vous n’avez aucune chance. À savoir, personne ne s’arrête
pour les vieux. Vous avez gaché vos meilleures années. Il n’y a maintenant plus
que les poils de vos oreilles qui poussent, pour peu que personne ne vienne
vous les couper.
MARCEL C’est moi qui conduit!
IRENA Comment vous permettez-vous?
MARCEL Vous m’avez traîné ici contre ma
volonté, alors j’ai le droit de m’asseoir au volant et de me reconduire sur le
lieu de mon travail.
IRENA La seule chose c’est que c’est
moi qui ait les clefs.
MARCEL Alors donnez-les moi!
IRENA Je ne vous connais pas.
MARCEL Aboule les clefs, sale pute!
IRENA Nous nous tutoyons maintenant?
MARCEL Alors ça arrive?
IRENA Ne me regardez pas comme cela!
J’appelle les flics!
MARCEL Si tu te mets à crier, je te
tue.
Marcel
s’approche d’Irena et veut la retenir.
IRENA Lachez-moi!
Irena arrive
à regagner la voiture, qu’elle ouvre. Marcel, aussitôt après, la
frappe pour s’emparer des clefs et de la voiture.
IRENA Connard!
MARCEL Bon, c’est vous qui conduisez. Mais
vous me promettez que vous me ramener.
IRENA /elle fait juste un
piaulement d’acquiescement/
Marcel fait
vigilamment le tour de la voiture et s’asseoit à la place du copilote.
Irena s’asseoit prudemment au volant, puis sort rapidement mais
imperceptiblement de son sac à mains un pulvérisateur de gaz
lacrymogènes / vraisemblablement un de ceux qui s’attaque au
système nerveux/ et elle en
projette à la face de Marcel. Celui-ci s’effondre, paralysé.
J’irai
où moi voudrai.
Elle claque
la portière et démarre.
Scène
8.
(voiture n°1)
Il pleut. Il
fait sombre.
PETR Nous nous approchons du but.
EDUARD Dans un moment nous serons en
ville.
PETR Je ne pensais pas si mal avec
cette proposition. J’ai toujours voulu m’occuper d’un garçon, tu sais? Comme
toi, et comme moi j’étais.
EDUARD Alors pourquoi vous ne vous
l’êtes jamais procuré?
Pause.
PETR Je
vais faire mes courses au supermarché et je rentre chez moi.
EDUARD Des panneaux publicitaires, des
pancartes, la quantité infinie des champs libres. Les terrains vagues à
louer. Combien y en a-t-il encore? Un
jour il ne restera même plus un pouce de campagne libre (comme au Japon),
parce que les villes grandissent et chaque cité a besoin de surfaces pour les
marchandises. Construire, paver, asphalter. Principalement afin qu’il n’y ait
plus de frontières entre les villes, pour qu’aucun paysage ne s’insinue
plus entre elles, et que chaque route soit bordée du plus grand nombre de
bâtiments. Et surtout - pour qu’il y ait le plus de routes possible, afin que
nous puissions partout voyager et partout acheter, et que nous puissions nous
délecter d’ouvrages de verre et d’acier.
PETR Tu t’y entends bien ...
EDUARD J’étudie l’architecture.
PETR Tu as déjà couché avec
une fille?
EDUARD Nous en avons déjà discuté.
PETR Nous aurions pu emballer
une... tu vois quoi... tu connais ça, hein? Sur la route il y en a relativement
souvent. Et belles, sans risques. Il faut que nous nous mettions plus à
reluquer.
EDUARD Je reluque.
PETR Ou bien nous pouvons nous
arrêter dans un... motel, si tu me comprends...
EDUARD Pour que vous matiez comment... je
m’y prends, c’est ça ?
PETR Rien de tel ne m’excite.
EDUARD Je sais, vous excite quelque chose
de tout autre, et c’est pour cela que vous n’avez pas d’enfants. À part
cela vous avez dit que vous n’avez jamais trompé votre femme. Regardez!
PETR Quoi?
EDUARD Là, devant nous!
PETR Les putes?
EDUARD Allons donc!
PETR Je ne vois rien, il pleut.
EDUARD Oui, précisément. Il y a un
embouteillage, tout le monde ralentit. Il y a des feux « stop »
allumés devant nous. Et un triangle d’avertissement. Derrière lui une
épave rouge. Du sang. Il y a du sang partout.
PETR Un emboutissage.
EDUARD Personne ne peut s’empêcher
de regarder. Ralentissez, vous aussi, pour que vous puissiez vous réjouir que
rien de pareil ne vous soit arrivé.
PETR Suivant la loi je dois
freiner quand les autres ralentissent.
EDUARD Vous avez regardé quand même!
Berk!
PETR Nous l’avons déjà
dépassé.
EDUARD Heureusement. Cette femme était
complètement en morceaux!
PETR Et la voiture concassée .
Malheureusement.
EDUARD Quel malheur! Qu’est-ce qu’était
comme voiture?
PETR Je ne sais pas, on ne pouvait
pas le voir, mais je pense que c’était une Felicia.
EDUARD Une Felicia rouge.
PETR Il m’a semblé. Ca devrait
signifier quelque chose?
Petr freine
brusquement.
Ma femme a
une voiture comme ça.
Surprise de
part et d’autre.
EDUARD Des voitures comme ça il y en a
aujourd’hui...
PETR Si elle était venu de la
ville règler quelque chose...
EDUARD Ne vous faites pas de bile. Ils vous
auraient certainement appellé.
PETR Où est mon téléphone?
EDUARD Ici.
Eduard
indique le tableau de bord.
PETR Branche-le. Il faut que nous
nous retournions.
EDUARD Ce n’est pas possible, nous sommes
sur l’autoroute.
PETR À la prochaine
bretelle...
EDUARD La prochaine n’est pas avant le
centre commercial.
PETR Putain d’embouteillage! Tu as
déjà allumé mon téléphone portable?
EDUARD Oui!
PETR Je vais m’arrêter et y
retourner à pied.
EDUARD Ne faites pas cela - on va nous rentrer
dedans! On ne peut pas revenir en arrière, c’est clair?
PETR Trouve vite le numéro de ma
femme!
EDUARD Elle s’appelle?
PETR Irena.
Petr commence
à donner des coups de klaxon à l’intention des voitures devant,
afin d’atteindre le plus vite possible la ville.
Scène
9
Le monsieur
et la dame (Josef et Bieta) se trouvent sur le parking, entourés d’une
multitude de voitures et de silhouettes poussant devant elles des caddies.
Panorama d’un centre commercial.
JOSEF Jaune et bleu, bleu et rouge,
rouge et blanc et bleu, vert et orange et beige...
BIETA De quoi tu parles ?
JOSEF Tu peux choisir selon la couleur
le magasin qui t’agrée.
BIETA Selon les marchandises,
j’espère bien !
JOSEF C’est partout pareil - partout
les mêmes caddies, des rayons infinis remplis du bas jusqu’au plafond et
des palettes sinuant les allées, rappellant que nous ne sommes même pas
dans un magasin, mais dans des entrepots.
BIETA Comment les gens peuvent-ils
reconnaître dans ce chaos l’endroit où ils ont laissé leur voiture ?
JOSEF Certaines places sur le parking
sont désignés par des numéros, d’autres par des lettres; les plus chanceux ont
leur petite voiture dans des rangées indiquées par des noms de rue - avec la
seule différence que tu ne trouves pas sur la pancarte le nom d’un
célèbre savant ou écrivain, mais le nom d’un article, vendu dans un
magasin déterminé. C’est ainsi que tu peux voir devant le département épicerie
par exemple la rue Oeufs, la rue Viande, la rue Nouillettes et...
BIETA ...Instantanée ! Il y a
aujourd’hui tellement de produits alimentaires, que leurs noms suffisent
à dénommer à l’avance les rues pour les dix ans à venir.
Quand tu prends les fromages, les fruits ou les légumes...
JOSEF Le chèvre mariné dans la
bière, ou le fromage de brebis saupoudré de noix et de piments-oiseaux
et de...
BIETA . ..de
papaye, de mangue, d’avocat...
JOSEF Quoi par exemple la rue
Camembert ?
BIETA Ou plutôt - la rue du sapeur
Camembert - pour que ça paraisse plus... humain, tu sais ?
JOSEF Du sapeur Camembert, du colonel
Bleu d’Auvergne, ou du maréchal Mimolette !
BIETA J’habiterais dans la rue des
aubergines avec vue sur l’Asperge ! Et encore nous n’avons pas parlé de
mercerie, de produits pour le jardin et de meubles !
JOSEF C’est dommage que ces rues
n’aient pas de maisons. Les uniques espaces habitables y sont à savoir
les voitures. À la place de maisons avec des numéros, tu trouves
seulement des automobiles signalisées par leurs plaques minéralogiques et à
la place des classiques locataires se
meuvent perpétuellement des silhouettes de voyageurs.
BIETA L’apparence des rues se
modifie ainsi avec les arrivées et les départs. Ce quartier-ci est
momentanément totalement envahi par ses habitants. Mais tous partiront ce soir,
et il ne restera dans les rues que des poteaux avec des pancartes et l’asphalte
revêtu de signes blancs.
JOSEF Pour peu qu’il n’y ait pas
à côté un magasin ouvert 24 heures sur 24.
BIETA On va faire des courses ?
JOSEF Les réserves sont encore
toujours pleines. Mais aujourd’hui, c’est pour la dernière fois. La
prochaine fois nous achèterons enfin une voiture correcte.
BIETA La notre est la meilleure,
crois-moi.
JOSEF Alors nous la donnerons à
réparer. Et entre temps nous profiterons des escalators.
BIETA Bon, on y va !
JOSEF Et nous nous arrêterons au
rayon des jouets ?
BIETA Pourquoi, s’il te plaît ?
JOSEF Je veux acheter quelque chose
à nos petits-enfants.
Josef et
Bieta prennent leur caddie et s’éloignent.
Scène
10.
Petr, énervé,
sort d’une des voitures, tandis qu’Eduard reste à l’intérieur.
PETR Je vais le fracasser, ce
portable !
EDUARD Calmez-vous, votre femme n’a
certainement rien.
PETR Et pourquoi a-t-elle son
téléphone débranché ?
EDUARD Peut-être qu’elle a le
même problème que vous. Laissez-lui un message !
PETR Et à quoi ça lui
servira quand elle est PEUT-ÊTRE morte ?
Petr se met
à pleurer. Eduard sort de la voiture et prend Petr avec compassion par
les épaules.
EDUARD Peut-être que votre femme est
à la maison, prépare le diner et attend votre arrivée.
PETR Elle s’est plutôt blottie
silencieusement dans un coin, et prie pour que nous ayons des enfants. J’ai
toujours voulu avoir un fils. Mais je ne voulais pas le mettre en route tant
que... je ne serais pas à cent pourcents sûr que... je fais bien
mon travail, que je suis utile, et que... tu penses que je suis utile ?
EDUARD Je ne sais pas ce que vous faites
exactement en dehors de ce que vous rouliez en voiture, mais vous prenez des
autostoppeurs, et ça c’est certain... comment dirais-je.... Vous prenez aussi
des autostoppeuses ?
PETR J’ai toujours eu peur que ma
femme soit jalouse. Mon Dieu, si elle m’avait appellé dans ma voiture et avait
entendu le rire d’une fille...
EDUARD Et est-ce qu’elle vous a au moins
appellé une fois ?
Petr est
décontenancé.
Qu’est-ce que vous
savez vraiment de votre femme ?
PETR ... Elle a l’air de sortir
d’une pub pour... j’ai oublié, putain... cette crème - tu sais, quand...
Elle s’habille avec beaucoup de goût, elle occupe un poste haut-placé -
elle arrive à faire bonne impression aux gens et aussi...
EDUARD Vous savez, si vous teniez vraiment
à votre femme, vous iriez voir si elle n’est pas à la maison
où au travail; et vous, pour l’instant... Peut-être que vous aviez
besoin de parler un peu. J’ai l’impression que vous avez plutôt peur d’elle et que
cela vous soulagerait plutôt si il lui était arrivé quelque chose de moche. Et
si c’était elle qui vous trompait ?
PETR Elle ne me ferait jamais cela
!
EDUARD Quand je vous observe maintenant...
Vous n’étes pas un peu ... boutonné ?
PETR Qu’est-ce que tu veux dire ?
EDUARD Desserrez votre col.
PETR Quoi ?
EDUARD Mettez-vous à l’aise, vous
ne pouvez pas produire cet effet ampoulé
- vous êtes tout de même un entrepreneur ! Au lieu d’aller au solarium, allez courir !
Vous savez bien vous-même, que tous ces lieux avec des fleurs
artificielles, avec du formica violet, et des petits carreaux blancs ... ou
bien peut-être que oui ? Vous avez vomi ces derniers temps ?
PETR Non.
EDUARD Alors commencez par faire cela.
Fourrez-vous un doigt dans le gosier, et essayez. À savoir, si vous le
reportiez à plus tard...
PETR Cela m’est égal que cette
vache soit hachée menue comme chair à paté !
EDUARD Ben vous voyez !
PETR Je ne veux même plus
jamais la voir !
EDUARD Cela se cicatrisera avec le temps
et du calme.
PETR J’ai sérieusement envie de
gerber, fichons le camp. Je t’invite à prendre une bière.
EDUARD Ce n’est pas possible ici dans ces
boutiques.
PETR Ici tout est possible !
EDUARD Bien, mais promettez-moi que vous
appellerez pour savoir ce qui est arrivé
à votre femme.
Petr ferme la
voiture à clefs, et avec Eduard, ils se rendent ensemble vers
l’hypermarché le plus proche.
Scène
11.
Irena avec
Marcel dans la voiture n°2 sur le parking de son lieu de travail. Marcel a
repris conscience, en revanche Irena est un peu indisposée.
MARCEL Enfin. /ll ouvre la porte/
IRENA Vous descendez ?
MARCEL Et qu’est-ce que vous pensiez -
après tout cela ?
IRENA Que vous alliez peut-être
me laisser votre téléphone.
MARCEL Malheureusement je n’en ai pas.
IRENA Et vous ne prenez pas mes
coordonnées ? /Elle sort une carte de visite/
MARCEL /Il la prend/ Bien
sûr. Il faudrait que j’aille travailler. /Il veut partir/
IRENA Attendez, je veux vous dire
quelque chose.
MARCEL Oui ?
IRENA Vous savez... j’ai pensé que...
Le gaz lacrymogène ne vous brûle pas les yeux ? Vous ne vous
sentez pas paralysé ?
MARCEL Non.
IRENA ... Je pense que je suis
enceinte.
MARCEL Ce n’est pas possible.
IRENA Et puis je ne m’appelle pas
Iveta, mais Irena. J’avais peur que quelqu’un puisse découvrir...
MARCEL Quoi ?
IRENA Que je cocufie mon mari. Mais
maintenant ça m’est égal.
MARCEL Et qu’est-ce que vous pensez qu’il
fait, lui ?
IRENA Il ne me tromperait jamais, je le
sais. Au bout du compte - moi non plus, si je ne vous avais pas rencontré.
MARCEL Peut-être que si vous aviez
été infidèles plus tôt, vous auriez des enfants depuis longtemps.
IRENA Peut-être que c’est en
fin de compte un enfant de lui.
MARCEL Et
ce matin vous étiez, dans le magasin, maussade, simplement parce que vous
n’avez pas eu vos menstruations. Vous ne pourrez plus jamais déterminer la paternité de
l’enfant. De toute manière – c’est vous la mère.
IRENA Il me semble que je vois en face
sa voiture.
MARCEL Il est certainement venu ici
acheter du champagne, pour que vous fètiez cela dignement.
IRENA Nous faisons nos courses dans
le même supermarché.
MARCEL Mais à une heure différente,
et chacun avec sa voiture. Peut-être que je l’ai déjà rencontré et
peut-être que
c’est même mon ami...
IRENA Et vous étiez ensemble à
l’école élémentaire, c’est ça ? /Elle rit/
MARCEL /Il poursuit le jeu/ Ouais.
Je lui ai toujours dit qu’il se trouve un... pour qu’il l’aide, vous comprenez...
/Il se met aussi à rire/
IRENA Un psychothérapeute ?
MARCEL Moi aussi je vous ai menti. Mon nom
n’est pas Matiej, mais Marcel. Et vous n’étiez absolument pas la
première, mais précisément la trois cent quatre-vingt deuxiéme.
IRENA Sérieusement ?
MARCEL C’est qu’il n’y a rien qui m’excite
plus, que quand une fille canon pense que je ne l’ai encore jamais fait avec
aucune.
IRENA Et ça a toujours marché ? Et si
plus aucune ne vous croyait jamais ? Si j’étais la dernière ?
MARCEL Alors ça devait être comme
ça.
IRENA Écoutez, je parle maintenant
relativement sérieusement - nous pourrions avoir un foyer commun, une famille,
nous éleverions l’enfant...
MARCEL C’est vous qui vous vouliez cet
enfant - moi je ne tiens pas à un mioche.
IRENA J’arrêterais de
travailler dans un bureau, nous déménagerions dans les montagnes ! Vous ne
voulez pas tout de même restez seul toute la vie ? Qui est-ce qui vous
fera le repassage et la lessive ?
MARCEL Déjà quand on était sur le
parking je me suis dit que vous étiez tarée. Je vous aurais fuit si vous ne
m’aviez pas retenu. Votre mari est en face.
IRENA Il n’y a personne
là-bas.
MARCEL Alors attendez-le. Ou bien, vous
savez quoi ? Moi, je vais vous le chercher, si
vous me dîtes à quoi il ressemble.
IRENA C’est votre problème.
MARCEL Il faut vraiment que j’y aille.
IRENA Je me sens pas très
bien.
MARCEL J’ai cependant des obligations !
IRENA Moi aussi justement, je devrais
encore retourner au travail et ensuite rentrer chez moi, préparer le dîner...
MARCEL Vous voyez... alors mettez y vous
dans la joie !
IRENA Je lui dirais ensuite que je
suis gravide et...
MARCEL Et vous allez arroser cela ! Bonne
soirée !
Marcel sort
de la voiture.
IRENA J’ai fait mes courses ce matin,
je peux donc aller directement...
MARCEL ... au travail et ensuite à
la maison !
IRENA Ouais.
Irena démarre
et recule d’une goutte.
MARCEL Attendez, j’ai encore un pied dans
la voiture.
Irena
s’arrête, Marcel sort une jambe, claque la portière et salue de la
main en dernier. Irena roule relativement bizarrement, comme si, sous
l’influence de son indisposition, elle ne savait pas précisément ce qu’elle
faisait. Fondu au noir. Bruits d’accident.
Scène
12.
Josef et
Bieta avancent à travers le magasin, captifs des caddies et des
rayonnages de marchandises. De temps en temps, on entend les haut-parleurs
diffuser : « Carrefour casse les prix ! » . Ils s’arrêtent au milieu du champ de
bataille.
BIETA Qu’est-ce que nous voulions au
juste ?
JOSEF Ce qui nous manque, justement !
Est-ce que nous ne connaissons pas cette dame là-bas ?
BIETA Ou cela ?
JOSEF Là-bas. /Il montre du
doigt la foule/
BIETA Comment je peux savoir ? C’est
très loin.
JOSEF Et surtout elle est partie.
BIETA On ne discerne rien dans cette
foule.
JOSEF On louche sur les rayonnages et
on ne sait sur quoi sauter en premier. J’en transpire des mains.
BIETA Moi, j’en ai mal à la
tête.
JOSEF Et j’en ai l’estomac serré.
BIETA La peur des grands espaces –
l’agoraphobie. Comme d’habitude. L’homme est seul même dans la foule.
J’aimerais bien parler avec quelqu’un...
JOSEF Si je me mettais à
courir, j’arriverais peut-être à la rattraper.
BIETA Laisse tomber ou bien tu vas
encore glisser.
JOSEF Nous ne la reverrons
peut-être plus jamais!
BIETA Tu l’as vu maintenant, cela
doit te suffire. A quoi cela te servirait? Tu lui demanderais comment ça va, ce
qu’elle fait, elle te demandrait elle-même la même chose, et vous
vous sépareriez de nouveau. A quoi tout cela sert? /elle a du mal à
se rappeller de quelque chose/ Qu’est-ce que je voulais ?
JOSEF Tu vois, tu es déjà
sclérosée.
BIETA Aujourd’hui c’est un peu trop
pour moi. Je n’ai envie de rien acheter.
JOSEF Oui, c’est trop.
BIETA Est-ce que ce n’était pas
là-bas un monsieur que nous connaissons?
JOSEF Je ne sais pas. Tu pense au
quel?
BIETA Au chauve.
JOSEF Je ne vois pas. J’ai laissé mes
lunettes à la maison, tu sais?
BIETA C’est tout toi.
JOSEF J’oublie toujours mes lunettes.
BIETA Et il est déjà parti.
JOSEF Et c’était qui?
BIETA Tu ne le connais pas!
JOSEF Comment tu peux le savoir? Tu as
dit que c’était quelqu’un que « nous » connaissions.
BIETA Pourquoi je ne me suis pas
précipitée à sa poursuite?
JOSEF Qui sait, ce qu’il te voulait.
BIETA Qu’est-ce que je voulais, bon
sang?
JOSEF Comme s’il nous manquait
toujours quelque chose!
BIETA Des mouches! Ils n’y ont pas
de mouches!
JOSEF En revanche les poissons
surgelés sont ici comme des champignons après la pluie.
BIETA J’ai même vu des
aquariums!
JOSEF Ouais, c’est l’unique milieu
vivant, autrement il y a partout des cadavres ici . Des charognes marines
sanglantes, congelées et pourries. Même les aquariums seront un jour
vide, il ne restera rien, tout sera vendu.
BIETA Ils en feront un logement
social, tu sais?
JOSEF Vraisemblablement il ne restera
rien d’autre à faire.
BIETA Et moi, j’irais faire mes
courses à l’épicerie du coin. Comme au temps de Staline, tu sais?
JOSEF J’irais m’acheter là-bas
un fromage puant ordinaire, des bouteilles de bière et des cibiches tchèques sans filtre,
mortelles.
BIETA Que ça soit là à
nouveau!
JOSEF De toute manière, nous
vendrons tout, finalement.
BIETA Non, nous laisserons tout aux
jeunes. Qu’ils en fassent ce qu’ils veulent.
JOSEF Que personne ne les leur vole.
BIETA Grand Dieu, je ne peux pas me
rappeller ce que je voulais.
JOSEF Et si nous ne dépensions rien
aujourd’hui?
BIETA Entendu - allons observer
à la place le règne aquatique entre les écrevisses et les
brochets.
JOSEF Ou bien... je pourrais encore
aller au rayon jouet pour acheter une petite voiture?
BIETA Mais c’est pour la
dernière fois. Et puis nous nous assiérons dedans et...
Scène
13.
Le lieu n’est pas spécifié. Il pourrait
s’agir du parking ou d’une décharge de voitures.
IRENA Petr...
je... je suis morte.
PETR Je... je sais.
IRENA Je...
j’attendais un enfant.
PETR ... Quoi... comment cela?
IRENA Du
calme, c’était pas avec toi.
PETR Ahh - bon...
IRENA Je
voulais juste que tu le saches...
PETR Et – c’est tout?
IRENA Oui, c’est tout.
Scène
14.
Dans le jardin devant la maison de Joseph et
Bieta.
BIETA Mon Doudou, enfin! Où
étais-tu passé?
EDUARD J’ai
du venir en stop! Ca m’a un peu retardé.
BIETA On
commençait à craindre que quelque chose ne te soit arrivé!
EDUARD Pas
à moi. Par bonheur. Il faudrait faucher ce champ.
JOSEF La
faux t’attend dans le garage.
EDUARD Vous
auriez pu enfin acheter une tondeuse.
BIETA Une
tondeuse, qu’est ce que je te disais! On l’a complètement oubliée!
EDUARD /Il fixe un point devant lui/ Un jour, il
ne restera pas même un pouce de terre libre...
BIETA Qu’est
ce que tu dis? Ca va pas?
EDUARD Et
vous auriez aussi besoin d’une nouvelle voiture. Votre épave me
rappelle ce que je préfères oublier.
JOSEF Ne
soit pas impertinent et dépêche-toi plutôt d’aller prendre la faux.
EDUARD La
grande faucheuse, elle doit être là-bas! /Il s’en va./
BIETA /à Joseph/ Qu’est ce qui lui est
arrivé?
Scène
15.
Marcel se tient au bord de la route, un sac
sur le dos. Il fait du stop.
La nuit tombe doucement. Bruit de l’autoroute. Deux point lumineux se dirigent froidement sur Marcel. Noir.
FIN