CHAMP LIBRE

 

(performance allégorique sur les voyages)

 

 

/Je ne veux plus regarder les gens comme des souris dans une cage de verre, je voudrais les regarder comme des êtres humains, avec compréhension et en m’efforçant de saisir leurs carences les plus profondes, car moi-même, non plus, je ne veux pas apparaître comme une taupe fraîchement né, qui était allé tirer la chasse simplement parce qu’il était né avec ses frères et sœurs un peu inutilement  dans un espace trop étroit./

 

 

Personnages:

 

Petr (33)

Irena (29)

Marcel (42)

Eduard (20)

Josef (55)

Bieta (55)

 

Tous les personnages parlent une langue nationale, c’est à dire universelle.

 

 

La mise en scène est possible seulement dans le cas où on arriverait à joindre d’une manière raffinée le concevable et infaisable - la pièce se déroule dans des voitures, sur des parkings, des autoroutes et dans  des hypermarchés. Plusieurs possibilités s’offrent: soit on adopte un type de théâtre “site-specific”, qui exige  des espaces atypiques, et la pièce est montée, si ce n’est directement sur les lieux mentionnés, dans  un endroit s’en approchant (usine, dépot de carcasses, salon auto, route), ou bien le texte est amené sur une scène de théâtre classique - mais avec des carosseries de voitures, des caddies, et des rayonnages - et on évite au moins de cette façon les procédés traditionnels (dans l’inspiration du théâtre hollandais contemporain non-conformiste). Troisième possibilité: on peut s’affranchir du texte, créer un happening  dans un centre commercial, invitant les passants à participer de manière non-violente et à faire le spectateurs d’une image associative passagère, se jouant simultanément à différentes places (les clients peuvent ainsi passer des voitures à l’action en cours dans le magasin même). Le point de départ et lieu le plus utilisé pourrait être alors le parking avec ses rangées d’automobiles alignées soigneusement sur l’asphalte sans limites; les différentes rangées sont indiquées par des pancartes avec des noms de rue donnés selon les marchandises.

 

 

 

Scène 1.

 

Eduard, un sac sur le dos, se tient debout le long de la route. Une voiture arrive en face, dans laquelle est assis un homme à l’apparence ordinaire - Petr. Il pèse du regard le jeune garçon - sur quoi il s’arrête, et descend la vitre avec empressement.

 

PETR                  Tu vas ... quelque part ?

 

EDUARD             Nous sommes sur l’autoroute, alors - tout droit.

 

PETR                   Et où veux-tu que je te dépose ?

 

EDUARD             Au bout de la route. Jusqu'où allez-vous ?

 

PETR                   Au bout.

 

Petr sort de la voiture et, à nouveau avec empressement, dépose le sac à dos d’Eduard dans le coffre.

 

                              Tu es étudiant ?        

 

EDUARD              Hum.

 

PETR                    Qu’est-ce que tu étudies ?

 

EDUARD              Ce qu’on peut.

 

PETR                    C’est à dire ?

 

EDUARD              Je ne sais pas encore exactement ce à quoi je vais me consacrer.       

 

Petr  monte dans la voiture et claque la porte. Eduard fait la même chose.

 

PETR                   Moi aussi j’ai fait des études.

 

EDUARD             Lesquelles ?

 

PETR                   Ce n’est pas essentiel. Je fais quelque chose de complètement différent.

 

EDUARD             Hum.

 

PETR                   Par ce temps c’est dur de faire du stop, hein ?

 

EDUARD             Il fait beau.

 

PETR                   Hum. Il ne fait pas mauvais.

 

Petr démarre. Ils s’en vont.

                             

EDUARD             Vous avez une très belle voiture.

 

PETR                   Il y en a des mieux, mais je me plains pas, tu sais. Si j’avais une super bagnole, je rentrerais certainement dans quelqu’un. Mais cela ne veut pas dire que je devrais aller avec une bagnole toute rafistolée et branlante, qui rappelle des souvenirs que je préfererais oublier.

 

EDUARD             Mais vous, vous n’allez pas avec une voiture comme ça.

 

Petr regarde le ciel éloquemment.

 

PETR                   Il va certainement y avoir un orage. Tu fumes ?

 

EDUARD             Non.

 

PETR                   Soit heureux, moi non plus.

 

EDUARD             En fait oui, mais j’en ai pas envie.

 

PETR                   Tu peux tranquillement en allumer une, ça me dérange pas.

 

EDUARD             De toute manière je n’ai pas de cigarettes.

 

PETR                   Dommage; si tu en avais, je m’en taperais une exceptionnellement avec toi.

 

EDUARD             Dans la voiture, ça serait immédiatement sale.

 

PETR                   Qu’est ce que tu veux dire ?

 

EDUARD             Les cendres, la fumée etc.

 

PETR                   J’espère qu’il ne va pas commencer à pleuvoir. Après ça roulerait mal. Parce que lorsqu‘il y a  un orage, les voitures se collent immédiatement les unes aux autres, et un malheur n’est jamais loin, tu sais.

 

EDUARD             Je ne pourrais pas conduire.

 

PETR                   J’avais aussi peur. Mais, tu sais - en vieillissant, rien de tout cela ne t’apparait suffisemment dangereux - tu finis même  par avoir le sentiment, que tu viens à bout de tout, et en plus tu commences à prendre le danger comme une fuite  désirée de la grisaille. Le voyage attire malgré tout. Le risque, l’adrénaline du fisc.

 

EDUARD             Bon ben accélérez.

 

PETR                   Tu es pressé ?

 

EDUARD             Non.

 

Petr accélère comme pour un rallye automobile. Il dépasse presque tous les autres.

 

PETR                    Un demeuré nous fait signe à l’arrière qu’on est des cinglés.

 

EDUARD              Et nous ne faisons que nous amuser.

 

PETR                    De son incapacité à apprécier la vie dans ses plus légères nuances.

 

EDUARD              De son incapacité à éveiller l’essence primordiale de tout être.

 

PETR                    Le désir du danger.

 

EDUARD              Il pouvait faire la course.

 

PETR                    Ouais...

 

EDUARD              J’étais - je ne suis pas- je serai en prison.

 

PETR                    Tu fais du stop souvent et sans craintes mon garçon ?

 

EDUARD              Les enfants tiennent dans leurs

 

PETR                    mains à la place d’une fronde

 

EDUARD              le volant, sur la terre

 

PETR                    battue ils piétinent le monde.

 

EDUARD              Ils portent en

 

PETR                    eux des corps,

 

EDUARD              les élans

 

PETR                    suivent les rennes.

 

EDUARD              Les luges rouges,

 

PETR                    les angles,

 

EDUARD              les brides fluettes,

 

PETR                    les veines...

 

EDUARD              Aujourd’hui,

 

PETR                    la confusion règne,

 

EDUARD              la vitesse,

 

PETR                    les gens riches,

 

EDUARD              la vie courte,

 

PETR                    les plaines libres,

 

EDUARD              les vomissements des mères dans la poisse...

 

PETR + EDUARD       Chassons les !

 

Petr maintenant va si vite que partout brillent les lumières des phares.

 

              

Scène 2.

 

Dans le centre commercial. De temps en temps, on entend les haut-parleurs diffuser : :« Carrefour casse les prix ! » . Irena pousse un cadis et  parcoure interminablement  les allées, ici et là, comme si elle ne pouvait pas se décider sur ce qu’elle voulait au juste  acheter.  Un vendeur s’approche d’elle.

 

MARCEL              Puis-je vous aider ?

 

IRENA                   Je pense, que mieux vaudrait pas.

 

MARCEL              Peut-être que vous avez besoin ...

 

IRENA                  Comment ça vous est-il venu à l’esprit?

 

MARCEL             Il y a beaucoup de choses ici, et je  comprend tout à fait, que vous ayez oublié ce dont vous aviez besoin.

 

IRENA                  Je pensais... Je voulais... J’avais besoin de quelque chose pour...  ou plutôt...  Mais  je pense de toute façon que vous n’avez pas cela ici.

 

MARCEL             Qu’est-ce que vous voulez dire?

 

IRENA                  Je ne sais pas comment ça s’appelle exactement, mais il y avait il y a un moment une pub. On la voyait partout.

 

MARCEL             Alors dites-moi au moins , si c’est pour le linge ou pour la vaisselle ou... rien d’autre ne me vient plus en tête -  c’est à dire, au moins, dans ce dont vous pourriez avoir besoin, quand je vous regarde comme cela...

 

IRENA                  Vous savez, mon mari...

 

MARCEL             Où est-il? Il aurait besoin de réparer quelque chose, c’est ça ?

 

IRENA                  Je trouverai pas d’outillage ici - il faudrait que j’aille dans ce... euh... comment ça s’appelle - je suis pas si bête! Il aurait plutôt besoin de quelque chose qui le... si vous me comprenez...  vous avez raison en fait, il  aurait besoin d’une réparation. Vous savez, mon mari gagne beaucoup d’argent, donc nous pouvons nous permettre pour ainsi dire tout. Nous avons absolument tout ce qu’il nous faut - nous mangeons comme dans les magazines (j’achète seulement ce qu’il y a de mieux), à la maison nous avons une salle de musculation, un bain à remous, et même un sauna...

 

MARCEL             Qu’est que je peux faire alors pour votre service?

 

IRENA                  Il aurait peut-être besoin d’une...

 

MARCEL             D’une cassette vidéo ou d’un comprimé?

 

IRENA                  C’est cela! Vous n’avez pas de médicaments?

 

MARCEL             Il faut aller dans une pharmacie, madame...

 

IRENA                  Et il n’y en a pas ici? Mon mari à vrai dire...Vous savez, nous vivons ensemble depuis cinq ans, et en tout ce temps, pendant lequel nous avons été ensemble...Vous me comprenez - Il est grand temps que nous ayons des enfants. Je lui propose tous les jours, mais ça ne lui dit rien. Au début, ça allait à peu prèt, seulement après, ça a commencé à se dégrader, et dans tout - nous étions ensemble déjà si longtemps, que nous devions tout simplement nous marier. Mais moi, je ne veux pas finir ma vie avec lui comme cela, dans la solitude, si vous me comprenez.

 

MARCEL             Comment est-ce que je pourrais vous aider?

 

Irena se pend à son cou et se met à pleurer.

 

IRENA                  Vous êtes si gentil! Et en même temps si...

 

MARCEL             Innocent, je sais. Vous prenez des contraceptifs?

 

IRENA                  Qu’est-ce que vous voulez dire?

 

MARCEL             Peut-être qu’il vous est arrivé une complication. Vous ne vous êtes pas fait examiné?

 

IRENA                  Je suis pas si bête que j’en ai l’air.

 

MARCEL             Peut-être que vous ne l’excitez pas assez. Mais dans ce cas là il y a quelque chose à faire... Vous avez essayé toutes les pratiques sexuelles?

 

IRENA                  Vous voulez dire que j’aurais du essayer toutes les cochonneries, qu’ils montrent à la télé?

 

MARCEL             Je veux simplement dire, que vous devriez vous assurer de ce qui excite vraiment votre mari.

 

IRENA                  Vous savez... Je suis ici en voiture, si vous me comprenez. Vous ne pourriez pas me raccompagner? Tout cela m’a un peu perturbée...

 

MARCEL             Mais...

 

IRENA                  Nous ferons juste un petit bout de chemin ensemble, allez... venez!

 

 

Scène 3 (voiture n°1)

 

La route

 

PETR                   Le temps passe relativement vite, hein?

 

EDUARD             Ouais, relativement, ouais.

 

PETR                   Avec les autostoppeurs, c’est immédiatement plus agréable.

 

EDUARD             Ca passe plus vite.

 

PETR                   Et lorsque deux personnes ont des choses à se dire... Imagine toi, que je passe presque toute la journée dans la voiture, pour remettre du fric à des gens, ou pour leur donner des renseignements; je vais de ville en ville - constamment en bagnole! Le soir je reçois le programme de tout ce que je dois faire le lendemain, sinon je fais ce que je veux.  Je ne supporte pas, quand on me prend pour un imbécile, et principalement je n’aime pas revenir quelque part - tu vois ce que je veux dire, sur l’autoroute ce n’est pas aussi simple - alors je préfère débrancher mon portable, pour que personne ne puisse me joindre. Avant de rentrer à la maison, au prèt de ma vieille, je fais en général plus de cinq cent kilomètres, et je ne compte pas le nombre de kilowattheures passées au supermarché. 

 

EDUARD             Mais vous vous déconnectez sûrement, parce que vous avez peur que votre femme vous attrape avec une...

 

PETR                   Par principe je ne trompe pas les femmes.

 

EDUARD             Et vous en avez combien ?

 

PETR                   Une.

 

EDUARD             Alors... le stéréotype ?

 

PETR                   C’est à peu près cela.

 

EDUARD             Il faut que je fasse attention.

 

PETR                   A chacun son tour... Tu sais comment ça se passe... Merde, il va pleuvoir.

 

Petr fait gicler sur le pare-brise le produit nettoyant, et fait fonctionner un instant l’essuie-glaces.

 

EDUARD             Pourtant il ne pleut pas encore.

 

PETR                   C’est égal. Tu as peur de l’orage ?

 

EDUARD             Non.

 

PETR                   Et des pervers ?

 

EDUARD             Il y en a un peut-être ici ?

 

PETR                   Je peux te demander quelque chose ?

 

EDUARD             Pas de problèmes.

 

PETR                   Ou plutôt non. Je laisse ça pour plus tard.

 

EDUARD             C’est une question personnelle ?

 

PETR                   Nous ne nous connaissons pas encore si bien, pour que tu doives me confier des détails intimes.

 

EDUARD             Pour que je doive ?

 

PETR                   Tu connais ça... On est toujours en voiture... On voudrait savoir quelque chose.

 

EDUARD             Vous ne vouliez pas me demander si j’ai une copine ? Aucune fille ne veut de moi.

 

PETR                   Pourquoi ? Pourtant tu es jeune, mignon, bien foutu...

 

EDUARD             Je suis peut-être trop intelligent pour elles, vous savez...

 

PETR                   Tu peux tranquillement me tutoyer.

 

EDUARD             Ce n’est pas convenable. C’est comme avec les cigarettes - même si j’en avais, je ne fumerais pas dans votre voiture. Et si vous en aviez, vous, et m’en offriez (comme si j’y avais pensé, parce que vous aviez demandé, si je fumais) je refuserais pareillement.

 

PETR                   Tu es rudement malin.  Ta mère doit être très fière de toi, hein ?

 

EDUARD             Plutôt, elle a peur que quelque chose m’arrive.

 

PETR                   Tu es pourtant un homme ! Ou bien non ?

 

EDUARD             Tant que je n’ai pas fait mon service, je suis une lavette.

 

PETR                   Ou bien tant que tu n’as pas planté ton arbre, construit ta maison, et engendré.

 

EDUARD             Vous avez déjà rempli toutes ces choses ?

 

PETR                   Aujourd’hui les frontières se sont déplacées quelque part ailleurs. Je me suis eniaisé au service, je n’ai pas envie de construire ma baraque - que quelqu’un d’autre la construise; et l’arbre, je ne l’ai pas encore planté, même si c’est relativement la chose la plus simple à faire. Ouais, et personne ne vient à moi pour faire des enfants.

  

EDUARD             Vous n’aimez pas les enfants ?

 

PETR                   Des soucis inutiles. Je suis déjà continuellement stressé.

 

EDUARD             Il n’y a pas de vie sans tracas. Quand bien même vous seriez totalement seul, vous auriez encore le souci d’être seul.

 

Petr fait à nouveau fonctionner l’essuie-glaces.

 

PETR                   Et si je ne m’arrêtais pas, alors tu n’arriverais peut-être nul part. Mais  peut-être que cela ne te dérangerait pas tant, parce que tu te serais rendu compte entre temps, que le lieu, où tu avais précisément  besoin de te rendre, avait déjà peut-être perdu son sens, et c’est pourquoi tu préfèrerais te retourner et faire du stop dans la direction opposée, pour fuir tout cela, ce qui ne fait que te ligoter, te détruire et te tuer. A la fin, tu finirais en dehors de ce monde jusque là vécue, et tu recommencerais tout, depuis zéro. Comme une feuille vierge. Tu sais ce que je donnerais pour ça, pour que je puisse trouver en moi une parcelle de courage pour le faire ?  Dire adieu à cet amoncellement d’inutilités accumulées, n’attendant de toute manière que cela; et s’envoler quelque part loin.

 

EDUARD             Vous voyez, vous n’êtes pas bête non plus. Chacun peut influencer le cours de sa vie.

 

PETR                   C’est ce que vous dites, vous les jeunes,  car vous n’avez aucune obligation et  encore moins la moindre parcelle de responsabilité, pour que vous commenciez à ressentir une quelconque obligation. Mais pourquoi ne pas le faire ? Et si toi tu tenais le volant à ma place, et si nous n’allions pas le moins du monde au bout de la route, mais à son début ? Tu sais comment ça se passe, nous atteindrions le même but avec d’autres moyens.

 

EDUARD             Ce serait extrèmement lâche et égoiste vis à vis de vos proches.

 

PETR                   Je n’ai aucun proche !  Il n’y a ici que nous deux !

 

EDUARD             Je dois aller à l’école.

 

PETR                   Au moins un jour ou deux ! Se déconnecter, j’ai besoin de me déconnecter, de tout oublier.

 

EDUARD             Il faut que j’y aille !

 

PETR                   Tu dois juste pisser. Tu es à l’école élémentaire ou quoi, pour qu’on puisse remplir une note au sujet de ton absence ?

 

EDUARD             J’ai un travail en cours.

 

PETR                   Ou plutôt une fille, c’est ça ? Qu’est ce qu’on va faire de toi ? Un ingénieur ou un docteur ?

 

EDUARD             Ce ne sont pas vos affaires.

 

PETR                   Tant que tu vis, alors vis ! Quand tu auras des engagements, ce sera de plus en plus difficile pour toi d’être libre.

 

EDUARD             Je reste libre même comme cela, et je n’aurais jamais d’engagements.

 

PETR                   Tu ne me comprends absolument pas ! Je t’ai invité en voyage !

 

EDUARD             Pourquoi est-ce que je devrais partir avec vous quelque part, alors que je ne vous connais pas du tout ?

 

PETR                   Tu ferais une bonne action, tu m’aiderais...

 

EDUARD             Laissez tomber - vous êtes cinglé ou quoi?

 

PETR                   Pardon, pardon, je suis lourd, je sais. Je me suis seulement dit, que nous pourrions aller ensemble quelque part, dès que je t’ai pris en stop... Je ne sais pas ce que je dis, pardonne-moi. Ces derniers temps je n’ai pas la notion du temps et je n’ai absolument pas conscience, que le temps coule pour chacun différement.  Oublie tout cela.

 

Petr fait  fonctionner encore une fois l’essuie-glaces.

 

                              Mais qu’est-ce que je fais au juste, alors qu’il ne pleut pas ?

 

EDUARD             Ne vous inquiètez pas, cela va commencer.

 

 

Scène 4. (voiture n°2)

 

Parking. Dans la voiture.

 

IRENA                  Bon alors, où est-ce que ça vous fait plaisir?

 

MARCEL             Quoi pardon?

 

IRENA                  Où voudriez-vous aller?

 

MARCEL             Je m’en remets à vous, mais...

 

IRENA                  Ne faites pas le difficile, une telle occasion ne s’offre pas à tout le monde, et en aucun cas chaque jour.

 

MARCEL             Je veux que vous sachiez que...

 

IRENA                  Je ne veux rien savoir. Je ne veux pas même  connaître votre nom et encore moins vos problèmes.

 

MARCEL             Pourquoi donc alors m’avez vous entraîné ici ?

 

IRENA                  Vous êtes comme un petit enfant.

 

Irena démarre la voiture.

 

MARCEL             Et vous, vous êtes au contraire relativement sans compromis.

 

IRENA                  Mettons nous en route, et nous verrons où cela nous amène.

 

MARCEL             Vous vous imaginez alors, que...

 

IRENA                  Moi je ne m’imagine rien, c’est plutôt vous qui vous vous imaginez – c’est quand même vous qui m’avez abordé.

 

MARCEL             Je voulais vous aider.

 

IRENA                  Et vous voyez - vous travaillez déjà à cela !

 

MARCEL             Ils vont me chercher !

 

IRENA                  Nous pouvons rester sur le parking.

 

Irena éteint le moteur.

 

MARCEL             Vous voulez peut-être quelque chose de moi, dont je ne suis pas capable...

 

IRENA                  Mais ne vous racontez  pas d’histoires ! Quand vous avez commencé quelque chose, alors vous devez le mener au bout.

 

MARCEL             Vous voulez que je vous fasse un enfant ?

 

IRENA                  Vous ne me comprenez toujours pas !  Il s’agit plutôt pour moi de... si vous me comprenez... Vous savez, mon mari...

 

MARCEL             Je ne sais pas comment commencer... C’est un peu bizarre...

 

IRENA                  Je vous parais affreuse? Je ne vous attire pas?

 

MARCEL             Mais non, seulement...

 

IRENA                  Allez y! Je suis drôlement curieuse de voir, ce que vous allez prétexter!

 

MARCEL             Je n’ai encore jamais...

 

IRENA                  Vous n’avez encore jamais vu une aussi belle femme que moi? Ça me fait plaisir!

 

MARCEL             Jamais je n’ai...

 

IRENA                  Bon, ça suffit. Vous me compterez fleurette à un autre moment.

 

MARCEL             Jamais...

 

IRENA                  Soyez un homme d’action - à la différence de mon homme.

 

MARCEL             Je n’ai encore jamais couché avec quelqu’un.

 

IRENA                  Mon dieu! Quel âge avez-vous?

 

MARCEL             Quarante-deux ans.

 

IRENA                  Attendez - et vous n’êtes pas par hasard un de ces gays timides, qui n’ose pas avouer franchement ce qui les branche, putain ?

 

MARCEL             J’ai peut-être l’air comme eux?

 

IRENA                  Non, vous avez plutôt l’air de ceux, qui  laissent leurs photos sur le net pour de l’argent, peut-être afin de satisfaire ces malheureux...

 

MARCEL             Des gens convenables, qui vivent en dehors de cela une vie rangée auprès de riches épouses, hein ? Il est en effet pour moi grand temps!

 

MARCEL             Plutôt je ne sais pas comment commencer...

 

IRENA                  Commencez depuis le commencement.

 

MARCEL             Je m’appelle Matiej...

 

IRENA                  J’en ai rien à foutre de votre nom! Vous devez... vous devriez... Calmez-vous. Vous savez, j’ai pensé, que vous l’aviez pensé... Maintenant, tout à coup, je ne peux pas croire que vous... Vous avez été tout ce temps comme... vous me comprenez cependant... Vous n’avez sérieusement jamais rien tenté?

 

MARCEL             Je n’ai pour l’instant pas rencontré la bonne personne.

 

IRENA                  Pour l’instant! Vous comptiez encore l’attendre? Comme si moi peut-être j’étais tombé sur le bon! Je vous ai pourtant parlé de lui!

 

MARCEL             J’ai eu tant de possibilités...

 

IRENA                  Avant tout, ne pleurnichez pas devant moi. Aucune femme n’est assez bonne, pour qu’un homme doive souffrir pour elle. Je travaille déjà depuis dix ans dans une agence de pubs! Vous pensez, que ça impressione les hommes? Non. Dites, je vous plait?

 

MARCEL             Normalement.

 

IRENA                  Bon sang, faites enfin quelque chose !

 

MARCEL             Nous ne pouvons tout de même pas rester ici.

 

IRENA                  Bien, alors je vais démarrer - mais promettez-moi de commencer.

 

MARCEL             Vous ne voulez pas commencer plutôt vous ?

 

IRENA                  C’est vous qui avez commencé avec cela. Alors continuez! Je ne suis pas un mec tout de même!

 

MARCEL             Mais vous êtes celle qui a besoin de quelque chose...

 

IRENA                  J’avais besoin de... Je ne vous ai rien demandé!

 

MARCEL             Vous avez quand même plus d’expériences...

 

IRENA                  ...Vous savez conduire?

 

MARCEL             Je me rappellerai peut-être.

 

IRENA                  Alors, asseyez-vous à ma place.

 

Marcel sort avec Irena de la voiture, et ils changent de places. Marcel semble hésiter un moment comme s’il voulait disparaître.

 

                               Vous vouliez vous enfuir?

 

MARCEL              Non, j’ai seulement pris peur de perdre ma place.

 

IRENA                  Ici, c’est votre place maintenant. Tout  s’arrangera, n’ayez pas crainte. Démarrez.

 

Marcel démarre.

 

                              Allez y!

 

Marcel commence à rouler.

 

MARCEL              Et où?

 

IRENA                  N’importe où.

 

MARCEL              Vous avez déjà commencé?

 

IRENA                  Pas encore.

 

MARCEL              Quelque chose m’a chatouillé sous le ventre.

 

 

Scène 5.

 

(voiture n°1)        

 

Il y a deux voitures simultanément sur la scène.

 

PETR                    Moi et ma femme, nous avons chacun notre voiture, mais par principe nous faisons les courses séparément. Et cependant dans exactement le même magasin. Elle achète en général ce qu’elle peut porter, et moi par contre ce que je ne suis pas capable de porter en une seule fois, tu vois le plan. Je m’arrête pour quelque chose à la station-service. Tu viens avec moi, ou tu attends dans la voiture ?

 

EDUARD            Je suis relativement pressé, alors je vais peut-être descendre et essayer d’arrêter quelqu’un d’autre.

 

PETR                  Personne ne s’arrêtera pour toi ici - ou alors un pervers. Ne dis pas n’importe quoi...

 

Petr gare la voiture.

 

EDUARD            Ça va vous prendre combien de temps ?

 

PETR                  Je vais juste acheter quelque chose à boire.

 

EDUARD            Alors vous allez être tout de suite de retour.

 

PETR                  Toi - tu n’as pas soif ?

 

EDUARD            Même pas.

 

PETR                  Je fais mes grosses courses quand je suis dans un centre commercial, tu connais cela.

 

EDUARD            Hum.

 

PETR                  Et tu es sûr que tu ne veux pas venir avec moi ?

 

EDUARD            Allez y seul.

 

PETR                  Et tu n’as pas besoin de quelque chose ... pour l’école ?

 

EDUARD            Je suis votre fils ou quoi ?

 

PETR                  Je demande simplement. Tu es dur ?

 

EDUARD            Quoi ?

 

PETR                  Tu sais très bien à quoi je pense.

 

EDUARD            Je devrais peut-être ?

 

PETR                  Moi, oui.

 

Eduard se met à rire.

 

EDUARD            Vous êtes pédé ?

 

PETR                  Je suis tout de même marié.

 

EDUARD            Alors pourquoi vous bandez ?

 

PETR                  Qu’est-ce que j’en sais ??

 

EDUARD            Vous êtes une folle !

 

PETR                  Qu’est-ce que tu te permets, morveux !

 

EDUARD            Ne vous fachez pas, mais je préfère descendre.

 

Eduard veut ouvrir la portière, mais Petr déclenche la fermeture automatique des portes (clic-clac).

 

 

(voiture n°2)

 

Irena et Marcel continue à résoudre le problème de la conception de la conception. Irena lui passe les doigts sur le bas-ventre.

 

MARCEL             Quelque chose m’a chatouillé sous le ventre.

 

IRENA                 Concentrez-vous sur la route.

 

MARCEL             Et comment donc vous appellez-vous au juste ?

 

IRENA                 /elle invente un nom d’emprunt/  ... Iveta.

 

MARCEL             Iveta ou Ivona, Ilona ou Irena...

 

IRENA                 Comme ça, ça va peut-être pas marcher. Il va falloir que nous nous arrêtions.

 

MARCEL             Et où est le problème ?

 

IRENA                 On devrait en arriver à s’assembler - et cela n’est pas possible quand vous roulez, vous pigez ?

 

MARCEL             Mais dites moi où je peux m’arrêter ici, quand nous sommes sur l’autoroute ?

 

IRENA                 Il faut que nous revenions sur le parking.

 

MARCEL             Nous sommes sur l’autoroute! Comment puis-je me retourner ?

 

IRENA                 Alors allez tout droit. Vous avez senti au moins quelque chose ?

 

MARCEL             Quelque chose de petit.

 

IRENA                 Au moins quelque chose. Là-bas il y a une voie d’arrêt - obliquez et arrêtez-vous.

 

MARCEL             Quand est-ce que vous et votre mari avez pour la dernière fois... 

 

IRENA                 J’ai eu un orgasme... /Irena commence à être excitée/ Je n’arrive pas à m’en rappeller... Vous êtes si innocent et cependant si...

 

MARCEL             Gentil, oui je sais. Il semble que votre besoin est absolument impossible à assouvir.

 

IRENA                 Plutôt - impossible à dompter. Est ce que ce ne serait pas plutôt moi qui devrait vous demander quelle est votre dernière expérience ?

 

MARCEL             Nous y sommes. Je dois laisser allumé le moteur?

 

IRENA                 Comme vous voulez. Et ne me regardez pas comme ça. Je ne sais pas ce que je dois en penser.

 

MARCEL             Et qu’est-ce que je dois faire selon vous ?

 

IRENA                 Fermez les yeux.

 

Marcel ferme les yeux, elle lui repasse à nouveau la main sur le bas-ventre. 

 

MARCEL             Ça chatouille!

 

IRENA                 Vous êtes comme un petit enfant! C’est avec vous absolument impossible de normalement ... Dire que je vous ai choisi justement vous !

 

MARCEL             Vous avez dit vous-même que...

 

IRENA                 Taisez-vous maintenant. Et pensez par exemple... à...

 

MARCEL             À vous ?

 

IRENA                 Par exemple.

 

 

(voiture n°1)

 

EDUARD            Pourquoi c’est pas possible d’ouvrir? C’est vous qui avez fermé?

 

PETR                  Du calme, mon garçon, je ne bande plus. Regarde!

 

EDUARD            Laissez- moi immédiatement sortir ou bien je me met à crier!

 

PETR                  Tu veux que je te fasse du mal? Je t’ai dit, que tu peux être tranquille.

 

EDUARD            Alors vous n’allez pas me faire de mal ?

 

PETR                  Je ne le voudrais pas et c’est pourquoi justement tais-toi.

 

EDUARD            Mais vous me promettez, que vous n’allez plus même me toucher, et cela jusqu’à que vous vous arrêtiez, et que vous me laisserez sortir alors sans faire de problèmes, et que vous ne partirez pas avec mes affaires - ou bien je n’oublierais pas jusqu’à ma mort votre numéro de signalisation.

 

PETR                  Tu me menaces, nabot !  Tu es pourtant un mec, non ? Putaing !  Si au lieu de cela, tu me cognais plutôt, pour que je me resaisisse enfin, pour que quelque chose se passe! Tout serait différent, tout.

 

 

(voiture n°2)

 

MARCEL             Il se passe quelque chose?

 

IRENA                 Vous devez m’aider!

 

MARCEL             Quand c’est si bizarre, dans une voiture...

 

IRENA                 Vous savez, j’ai pensé que... Vous ne vouliez pas aux toilettes, au bureau non plus. Alors où est donc le problème? Vous êtes pire que mon mari!

 

Irena descend de voiture.

         

                             Descendez.

 

MARCEL             Il va pleuvoir.

 

IRENA                 Au moins ça va nous raffraichir.

 

 

(voiture n°1)

 

PETR                  Je me resaisirais. Tu sais, toute la journée je suis assis dans une voiture.

 

EDUARD            Et le soir, vous n’êtes pas avec votre femme?

 

PETR                  Ouais, mais elle me considère pas comme avant. Parfois même je fais comme si je n’étais absolument pas là.

 

EDUARD            Comme mon père.

 

 

(voiture n°2)

 

Marcel est descendu entre temps de voiture, et il est  monté avec Irena sur le talus.

 

IRENA                 Allongez-vous.

 

MARCEL             Allongez vous, vous.

 

IRENA                 Mais nous n’allons pas réciproquement nous...

 

MARCEL             C’est vous qui le souhaitiez.

 

 

(voiture n°1)

 

EDUARD             Vous êtes tout simplement un incapable.

 

PETR                   Mais fidèle! J’avais la trique, parce que l’orage se prépare,  parce que l’air ici est différent que dans cette ville de merde, et parce que tu es jeune, mignon...

 

EDUARD             /Il ne la laisse pas finir/ Encore ?!

 

 

(voiture n°2)

 

IRENA                 Il y a quelque chose qui vous dérange ici ?

 

MARCEL             On nous voit de tous les côtés.

 

IRENA                 Alors roulez en bas.

 

Marcel et Irena se roulent dans la pente.

 

MARCEL             Aïe!

 

 

(voiture n°2)

 

PETR                   Si tu cries, tu ne sortiras jamais d’ici, c’est clair?

 

Petr démarre la voiture.

 

                             Allons-nous en.

 

 

(voiture n°1)

 

IRENA                 Qu’est-ce que tu as?

 

 

(voiture n°2)

 

EDUARD             J’ai soif.

 

 

(voiture n°1)

 

MARCEL             Il y a des chardons ici!

 

 

(voiture n°2)

 

PETR                   Moi aussi.

 

 

Scène 6.

 

Josef et Bieta (un grand-père et une grand-mêre) sont dans une voiture qui tombe en ruines et roule à peine (ou bien: ils sont dans un autobus, qui conduit les clients au centre commercial). Ils se réjouissent certes du voyage, mais le « complexe socialiste » dont ils souffrent visiblement, laisse entendre qu’ils voudraient avoir plus de tout.

 

BIETA                  Qu’est-ce qui nous manque encore?

 

JOSEF                Qu’est-ce que nous n’avons encore pas, selon toi ?

 

BIETA                  Une machine à laver... la vaisselle, un mixeur...

 

JOSEF                ... un robot ménager,  des couverts, un sécheur...

 

BIETA                  ...une machine à laver... le linge, une essoreuse...

 

JOSEF                ...un micro-ondes, un sèche - cheveux et une tondeuse...

 

BIETA                  ... et puis un économe, et un percolateur...

 

JOSEF                ... et aussi un couteau, et un avale-odeurs...

 

BIETA                  ... et également un bain... moussant, une bouilloire...

 

JOSEF                ... une table de ping-pong, en tout cas l’arrosoir...

 

BIETA                  ... une chambre noire, le wap, une pendule digitale...

 

JOSEF                ... et puis le téléphone... portable, une poèle...

 

BIETA                  ... le surf, le cyber-chat, les mails et internet...

 

JOSEF                ... des soins de beauté, en...fin un jeu de fléchettes.

         

                             Nous avons déjà tout cela, excepté les articles les plus modernes, parce que bien que nous ayons assez d’argent pour cela, nous ne nous les procurerons plus jamais, car seuls nos petits-enfants les comprennent, et nous, c’est trop tard pour que nous puissions jamais les comprendre.

 

BIETA                  Jusqu’où pourrions-nous avoir le toupet de les suivre ?

 

JOSEF                Et à quoi pourrions nous jouer devant eux?

 

BIETA                  Qu’est-ce qui nous manque encore?

 

JOSEF                Un brûleur automatique, un avale-poussières, un irradiateur, un éliminateur, un calfeutrateur, un  clignotement d’alarme  au cas où, un  repose-genoux, et - ce qui est de tout le plus important et donc aussi le plus irremplacable et ce que dans aucun cas nous ne devons oublier, un compriméamincissantpourprévenirdelagraisselesquéquettes.

         

                             ... Nous devrions laisser tomber tout cela, et nous acheter plutôt une nouvelle et meilleure voiture, comme ils ont tous.

 

BIETA                  De toute manière les routes sont égratignées.

 

(Dans le cas où la scène se déroule dans leur voiture:

 

JOSEF                C’est justement pour cela que cela nous secoue comme des squelettes.)

 

BIETA                  Nous pouvons aller au centre commercial en autobus. Tu aimes les voitures, et moi j’aime par contre le confort domestique. Sans toutes ces choses nous serions cependant morts depuis longtemps.

 

JOSEF                Je n’ai jamais eu besoin de rien de tout cela.

 

BIETA                  Et ton dos - quand il te faisait mal ? Est-ce que ce n’est pas notre ultramobile corpocourreuse  Boulette équipée d’une rallonge de rechange avec une pression d’intensité allant de 1 à 10 qui t’a massé?

 

JOSEF                Pour me raser je n’ai jamais eu besoin de rien d’autre qu’une lame ordinaire et du savon à 50 centimes.

 

BIETA                  Mon pauvre chou! Tu sais comment tu te sentirais bien si de temps en temps tu te laissais raser par une machine hypermoderne dans un supergigamacromegamarché ?

 

JOSEF                Tu veux vivre comme dans un bouquin de science-fiction? Nous sommes peut-être des cosmonautes? Eh quoi, nous vivons sur la lune?

 

BIETA                  Pas encore, mais j’ai parfois l’impression que je vis avec un parfait a... ana... anal... analphabète!

 

JOSEF                Ou avec un anachorète, tiens ? Tu m’as toujours reproché mon absence de foi, mon absence de foi à un meilleur avenir,  mais en même temps c’était toi et c’est toujours toi qui gère la marche de la maison et détermine les directions, les choix  et les achats incessants  de matières premières dans un réseau... de déterminations.

 

BIETA                  Quelles déterminations? La détermination de quoi?

 

JOSEF                La détermination du marché, la surface des palettes, le choix des marchandises, le champ des forces de consommation. Plus nous vendons de quelque chose, plus nous en achetons, et plus nous en achetons, plus nous en vendons.

 

BIETA                  Quand... nous rentrerons, nous déballerons. Nous répartirons les achats uniformément à travers l’appartement, selon leur appartenance, et nous nous délecterons. Nous nous délecterons de la merveille de ses possibilités qui nous sont offertes, et dont nous pouvons profiter.

 

C’est comme  si Josef délaissé avait cessé de conduire la voiture   (comme si l’autobus s’était arrêté en même temps que les autres voyageurs). Bieta descend et se place devant le capot. Ainsi à l’avant-scène, sur la route, elle commence à raconter ses amours de consommatrice.

 

                             Je dis toujours que c’est une merveille d’avoir tant de choses à la fois, mais un instant après j’ai le sentiment (et cela se répète), qu’il nous manque toujours quelque chose, que nous avons oublié quelque chose, et c’est pourquoi nous devons à nouveau et rapidement lancer l’assaut. C’est déjà notre sixième télévision dans l’ordre, et du tournedisque nous sommes passés au ...

 

JOSEF                Au lecteur de disques.

 

BIETA                  Merci... Et pourtant j’ai tout... ou plutôt - je n’ai pas le bon ... Comment on dit, Pepa ?

 

JOSEF                Feeling.

 

BIETA                  Ouais, le filingue! ... J’ai le filingue que tout n’est pas O.K. et que quelque chose nous manque.

 

JOSEF                Peut-être que si elle me le demandait, je lui dirais quoi.

 

C’est comme si Josef a Bieta se parlaient aux spectateurs, à savoir indépendamment de soi.

 

BIETA                  Tu ne sais pas ce qui nous manque encore, Pepa?

 

JOSEF                Tu penses qu’il nous manque quelque chose?

 

BIETA                  Penses-tu. Entrons au centre commercial, et nous verrons bien.

 

JOSEF                Tôt ou tard , quelque chose va nous revenir, hein ?

 

BIETA                  Tôt ou tard.

 

Bieta va cueillir dans le champ les fleurs qui poussent le long de la route, et Pepa se déplace à l’endroit où se tenait un moment auparavant sa femme. Les nuages deviennent menaçants.

 

JOSEF                Elle voulait le sourire Colgate, elle l’a eu. Elle voulait faire des exercices avec un tuyau en caoutchouc, elle les a faits. Sur sa tombe elle voulait des lettres en or... Nous les avons cherché partout! On est bien? Oui. Alors pourquoi elle veut toujours, que ça aille mieux? Moi, plus le temps passe, moins ça va, je me noie dans ces inventions, je ne sais plus où je suis; je suis obsédé  par le désir de disparaître, je voudrais m’évaporer. Quitter la réalité. Et  principalement la cuisine, parce qu’elle est avant tout comble, envahie par les instruments, les fantômes, qui lui nettoient la libido. L’odeur insistante qui sort de la cuisine se répand dans toutes les parties de la maison. Comme si la cuisine était partout, comme si partout quelque chose se préparait, se mitonnait , se cuisait, se pétrissait. Autrefois je collectionnais les petites voitures. Pour que je puisse au moins les voir en modèles réduits, quand nous n’avons déjà plus rien pour quoi on irait jeter un regard dans le garage. Je passe mon temps à la réparer, cette vieille rosse. Et les pièces de rechange, les pièces détachées nécéssaires pour que nous puissions encore nous en servir sont venus se rajouter constamment  aux petites voitures. Les vis et les écrous sont restés, les petites voitures, on a dû les jeter. Pour faire de la place aux outils. J’appelle cela la dératisation sans préavis. Me torture la réalisation des promesses non-dites et des agréments non-écrits. Un non-sens. Et  la pénitence? Qui peut accuser qui ?  Qui peut dénigrer qui? Dans le temps j’ai été amoureux. Aujourd’hui  je souffre pour cela de la perte de ma liberté propre. 

 

Josef pendant son monologue se déplace jusqu’au champ.

 

BIETA                  Pourquoi nous nous tenons là? Comment ça se fait-il, que nous ne partions pas? Je pensais que nous étions en route!  Nous badaudons au milieu d’un champ.

 

 

Scène 7.

                  

(voiture n°2)

 

A l’extérieur devant la voiture. Irena s’habille et Marcel se reboutonne.

 

IRENA                 Je pense que c’étais pas si mal - du moins  pour une première fois.     

 

MARCEL             Je ne me suis même pas apperçu que c’était terminé.

 

IRENA                 Pour plus de sécurité, nous devrions recommencer - personne ne me garantit que je suis enceinte.

 

MARCEL             Ils vont me chercher!

 

IRENA                 Vous aviez besoin de vous détendre un peu - non? Allons à la montagne! Fini la civilisation!

 

MARCEL             Je refuse de partager avec vous cette voiture!

 

IRENA                 Si vous voulez, vous pouvez faire du stop,  mais je vous préviens avant, vous n’avez aucune chance. À savoir, personne ne s’arrête pour les vieux. Vous avez gaché vos meilleures années. Il n’y a maintenant plus que les poils de vos oreilles qui poussent, pour peu que personne ne vienne vous les couper.

 

MARCEL             C’est moi qui conduit!

 

IRENA                 Comment vous permettez-vous?

 

MARCEL             Vous m’avez traîné ici contre ma volonté, alors j’ai le droit de m’asseoir au volant et de me reconduire sur le lieu de mon travail.

 

IRENA                 La seule chose c’est que c’est moi qui ait les clefs.

 

MARCEL              Alors donnez-les moi! 

 

IRENA                 Je ne vous connais pas.

 

MARCEL             Aboule les clefs, sale pute!

 

IRENA                 Nous nous tutoyons maintenant?

 

MARCEL             Alors ça arrive?

 

IRENA                 Ne me regardez pas comme cela! J’appelle les flics!

 

MARCEL             Si tu te mets à crier, je te tue.

 

Marcel s’approche d’Irena et veut la retenir.

 

IRENA                 Lachez-moi!

 

Irena arrive à regagner la voiture, qu’elle ouvre. Marcel, aussitôt après, la frappe pour s’emparer des clefs et de la voiture.

 

IRENA                 Connard!

 

MARCEL             Bon, c’est vous qui conduisez. Mais vous me promettez que vous me ramener.

 

IRENA                 /elle fait juste un piaulement d’acquiescement/

 

Marcel fait vigilamment le tour de la voiture et s’asseoit à la place du copilote. Irena s’asseoit prudemment au volant, puis sort rapidement mais imperceptiblement de son sac à mains un pulvérisateur de gaz lacrymogènes / vraisemblablement un de ceux qui s’attaque au système nerveux/ et elle en  projette à la face de Marcel. Celui-ci s’effondre, paralysé.            

 

                             J’irai où moi voudrai.

 

Elle claque la portière et démarre.

 

 

Scène 8.

 

(voiture n°1)

 

Il pleut. Il fait sombre.

 

PETR                   Nous nous approchons du but.

 

EDUARD             Dans un moment nous serons en ville.

 

PETR                   Je ne pensais pas si mal avec cette proposition. J’ai toujours voulu m’occuper d’un garçon, tu sais? Comme toi, et comme moi j’étais.

 

EDUARD             Alors pourquoi vous ne vous l’êtes jamais procuré?

 

Pause.

 

PETR                   Je vais faire mes courses au supermarché et je rentre chez moi.

 

EDUARD             Des panneaux publicitaires, des pancartes, la quantité infinie des champs libres. Les terrains vagues à louer. Combien y en a-t-il encore?  Un jour il ne restera même plus un pouce de campagne libre (comme au Japon), parce que les villes grandissent et chaque cité a besoin de surfaces pour les marchandises. Construire, paver, asphalter. Principalement afin qu’il n’y ait plus de frontières entre les villes, pour qu’aucun paysage ne s’insinue plus entre elles, et que chaque route soit bordée du plus grand nombre de bâtiments. Et surtout - pour qu’il y ait le plus de routes possible, afin que nous puissions partout voyager et partout acheter, et que nous puissions nous délecter d’ouvrages de verre et d’acier.

 

PETR                   Tu t’y entends bien ...

 

EDUARD             J’étudie l’architecture.

 

PETR                   Tu as déjà couché avec une fille?

 

EDUARD             Nous en avons déjà discuté.

 

PETR                   Nous aurions pu emballer une... tu vois quoi... tu connais ça, hein? Sur la route il y en a relativement souvent. Et belles, sans risques. Il faut que nous nous mettions plus à reluquer.

 

EDUARD             Je reluque.

 

PETR                   Ou bien nous pouvons nous arrêter dans un... motel, si tu me comprends...

 

EDUARD             Pour que vous matiez comment... je m’y prends, c’est ça ?

 

PETR                   Rien de tel ne m’excite.

 

EDUARD             Je sais, vous excite quelque chose de tout autre, et c’est pour cela que vous n’avez pas d’enfants. À part cela vous avez dit que vous n’avez jamais trompé votre femme. Regardez!

 

PETR                  Quoi?

 

EDUARD             Là, devant nous!

 

PETR                   Les putes?

 

EDUARD             Allons donc!

 

PETR                   Je ne vois rien, il pleut.

 

EDUARD             Oui, précisément. Il y a un embouteillage, tout le monde ralentit. Il y a des feux « stop » allumés devant nous. Et un triangle d’avertissement. Derrière lui une épave rouge. Du sang. Il y a du sang partout.

 

PETR                   Un emboutissage.

 

EDUARD             Personne ne peut s’empêcher de regarder. Ralentissez, vous aussi, pour que vous puissiez vous réjouir que rien de pareil ne vous soit arrivé.

 

PETR                   Suivant la loi je dois freiner quand les autres ralentissent.

 

EDUARD             Vous avez regardé quand même! Berk!

 

PETR                   Nous l’avons déjà dépassé.

 

EDUARD             Heureusement. Cette femme était complètement en morceaux!

 

PETR                   Et la voiture concassée . Malheureusement.

 

EDUARD             Quel malheur! Qu’est-ce qu’était comme voiture?

 

PETR                   Je ne sais pas, on ne pouvait pas le voir, mais je pense que c’était une Felicia.

 

EDUARD             Une Felicia rouge.

 

PETR                   Il m’a semblé. Ca devrait signifier quelque chose?

 

Petr freine brusquement.

 

                             Ma femme a une voiture comme ça.

 

Surprise de part et d’autre.

 

EDUARD             Des voitures comme ça il y en a aujourd’hui...

 

PETR                   Si elle était venu de la ville règler quelque chose...

 

EDUARD             Ne vous faites pas de bile. Ils vous auraient certainement appellé.

 

PETR                   Où est mon téléphone?

 

EDUARD             Ici.

 

Eduard indique le tableau de bord.

 

PETR                   Branche-le. Il faut que nous nous retournions.

 

EDUARD             Ce n’est pas possible, nous sommes sur l’autoroute.

 

PETR                   À la prochaine bretelle...

 

EDUARD             La prochaine n’est pas avant le centre commercial.

 

PETR                   Putain d’embouteillage! Tu as déjà allumé mon téléphone portable?

 

EDUARD             Oui!

 

PETR                   Je vais m’arrêter et y retourner à pied.

 

EDUARD             Ne faites pas cela - on va nous rentrer dedans! On ne peut pas revenir en arrière, c’est clair?

 

PETR                   Trouve vite le numéro de ma femme!

 

EDUARD             Elle s’appelle?

 

PETR                   Irena.

 

Petr commence à donner des coups de klaxon à l’intention des voitures devant, afin d’atteindre le plus vite possible la ville.

 

 

Scène 9

 

Le monsieur et la dame (Josef et Bieta) se trouvent sur le parking, entourés d’une multitude de voitures et de silhouettes poussant devant elles des caddies. Panorama d’un centre commercial.

 

JOSEF                Jaune et bleu, bleu et rouge, rouge et blanc et bleu, vert et orange et beige...

 

BIETA                  De quoi tu parles ?

 

JOSEF                Tu peux choisir selon la couleur le magasin qui t’agrée.

 

BIETA                  Selon les marchandises, j’espère bien !

 

JOSEF                C’est partout pareil - partout les mêmes caddies, des rayons infinis remplis du bas jusqu’au plafond et des palettes sinuant les allées, rappellant que nous ne sommes même pas dans un magasin, mais dans des entrepots.

 

BIETA                  Comment les gens peuvent-ils reconnaître dans ce chaos l’endroit où ils ont laissé leur voiture ?

 

JOSEF                Certaines places sur le parking sont désignés par des numéros, d’autres par des lettres; les plus chanceux ont leur petite voiture dans des rangées indiquées par des noms de rue - avec la seule différence que tu ne trouves pas sur la pancarte le nom d’un célèbre savant ou écrivain, mais le nom d’un article, vendu dans un magasin déterminé. C’est ainsi que tu peux voir devant le département épicerie par exemple la rue Oeufs, la rue Viande, la rue Nouillettes et...

 

BIETA                  ...Instantanée ! Il y a aujourd’hui tellement de produits alimentaires, que leurs noms suffisent à dénommer à l’avance les rues pour les dix ans à venir. Quand tu prends les fromages, les fruits ou les légumes...

 

JOSEF                Le chèvre mariné dans la bière, ou le fromage de brebis saupoudré de noix et de piments-oiseaux et de... 

 

BIETA        .         ..de papaye, de mangue, d’avocat...

 

JOSEF                Quoi par exemple la rue Camembert ?

 

BIETA                  Ou plutôt - la rue du sapeur Camembert - pour que ça paraisse plus... humain, tu sais ?

 

JOSEF                Du sapeur Camembert, du colonel Bleu d’Auvergne, ou du maréchal Mimolette !

 

BIETA                  J’habiterais dans la rue des aubergines avec vue sur l’Asperge ! Et encore nous n’avons pas parlé de mercerie, de produits pour le jardin et de meubles !

 

JOSEF                C’est dommage que ces rues n’aient pas de maisons. Les uniques espaces habitables y sont à savoir les voitures. À la place de maisons avec des numéros, tu trouves seulement des automobiles signalisées par leurs plaques minéralogiques et à la place des classiques locataires  se meuvent perpétuellement des silhouettes de voyageurs.

 

BIETA                  L’apparence des rues se modifie ainsi avec les arrivées et les départs. Ce quartier-ci est momentanément totalement envahi par ses habitants. Mais tous partiront ce soir, et il ne restera dans les rues que des poteaux avec des pancartes et l’asphalte revêtu de signes blancs.

 

JOSEF                Pour peu qu’il n’y ait pas à côté un magasin ouvert 24 heures sur 24.

 

BIETA                  On va faire des courses ?

 

JOSEF                Les réserves sont encore toujours pleines. Mais aujourd’hui, c’est pour la dernière fois. La prochaine fois nous achèterons enfin une voiture correcte.

 

BIETA                  La notre est la meilleure, crois-moi.

 

JOSEF                Alors nous la donnerons à réparer. Et entre temps nous profiterons des escalators.

 

BIETA                  Bon, on y va !

 

JOSEF                Et nous nous arrêterons au rayon des jouets ?

 

BIETA                  Pourquoi, s’il te plaît ?

 

JOSEF                Je veux acheter quelque chose à nos petits-enfants.

 

Josef et Bieta prennent leur caddie et s’éloignent.

 

 

Scène 10.

 

Petr, énervé, sort d’une des voitures, tandis qu’Eduard reste à l’intérieur.

 

PETR                  Je vais le fracasser, ce portable !

 

EDUARD            Calmez-vous, votre femme n’a certainement rien.

 

PETR                  Et pourquoi a-t-elle son téléphone débranché ?

 

EDUARD            Peut-être qu’elle a le même problème que vous. Laissez-lui un message !

 

PETR                  Et à quoi ça lui servira quand elle est PEUT-ÊTRE morte ?

 

Petr se met à pleurer. Eduard sort de la voiture et prend Petr avec compassion par les épaules.

 

EDUARD             Peut-être que votre femme est à la maison, prépare le diner et attend votre arrivée.

 

PETR                   Elle s’est plutôt blottie silencieusement dans un coin, et prie pour que nous ayons des enfants. J’ai toujours voulu avoir un fils. Mais je ne voulais pas le mettre en route tant que... je ne serais pas à cent pourcents sûr que... je fais bien mon travail, que je suis utile, et que... tu penses que je suis utile ?

 

EDUARD             Je ne sais pas ce que vous faites exactement en dehors de ce que vous rouliez en voiture, mais vous prenez des autostoppeurs, et ça c’est certain... comment dirais-je.... Vous prenez aussi des autostoppeuses ?

 

PETR                   J’ai toujours eu peur que ma femme soit jalouse. Mon Dieu, si elle m’avait appellé dans ma voiture et avait entendu le rire d’une fille...

 

EDUARD             Et est-ce qu’elle vous a au moins appellé une fois ?

 

Petr est décontenancé.

 

                             Qu’est-ce que vous savez vraiment de votre femme ?

 

PETR                   ... Elle a l’air de sortir d’une pub pour... j’ai oublié, putain... cette crème - tu sais, quand... Elle s’habille avec beaucoup de goût, elle occupe un poste haut-placé - elle arrive à faire bonne impression aux gens et aussi...

 

EDUARD             Vous savez, si vous teniez vraiment à votre femme, vous iriez voir si elle n’est pas à la maison où au travail; et vous, pour l’instant... Peut-être que vous aviez besoin de parler un peu. J’ai l’impression que vous avez plutôt peur d’elle et que cela vous soulagerait plutôt si il lui était arrivé quelque chose de moche. Et si c’était elle qui vous trompait ?

 

PETR                   Elle ne me ferait jamais cela !

 

EDUARD             Quand je vous observe maintenant... Vous n’étes pas un peu ... boutonné ?

 

PETR                   Qu’est-ce que tu veux dire ?

 

EDUARD             Desserrez votre col.

 

PETR                   Quoi ?

 

EDUARD             Mettez-vous à l’aise, vous ne pouvez pas produire  cet effet ampoulé - vous êtes tout de même un entrepreneur !  Au lieu d’aller au solarium, allez courir ! Vous savez bien vous-même, que tous ces lieux avec des fleurs artificielles, avec du formica violet, et des petits carreaux blancs ... ou bien peut-être que oui ? Vous avez vomi ces derniers temps ?

 

PETR                   Non.

 

EDUARD             Alors commencez par faire cela. Fourrez-vous un doigt dans le gosier, et essayez. À savoir, si vous le reportiez à plus tard...

 

PETR                   Cela m’est égal que cette vache soit hachée menue comme chair à paté !

 

EDUARD             Ben vous voyez !

 

PETR                   Je ne veux même plus jamais la voir !

 

EDUARD             Cela se cicatrisera avec le temps et du calme.

 

PETR                   J’ai sérieusement envie de gerber, fichons le camp. Je t’invite à prendre une bière.

 

EDUARD             Ce n’est pas possible ici dans ces boutiques.

 

PETR                   Ici tout est possible !

 

EDUARD             Bien, mais promettez-moi que vous appellerez pour savoir ce qui est arrivé  à votre femme.

 

Petr ferme la voiture à clefs, et avec Eduard, ils se rendent ensemble vers l’hypermarché le plus proche.

 

Scène 11.

 

Irena avec Marcel dans la voiture n°2 sur le parking de son lieu de travail. Marcel a repris conscience, en revanche Irena est un peu indisposée.

 

MARCEL             Enfin. /ll ouvre la porte/                  

 

IRENA                 Vous descendez ?

 

MARCEL             Et qu’est-ce que vous pensiez - après tout cela ?

 

IRENA                 Que vous alliez peut-être me laisser votre téléphone.

 

MARCEL             Malheureusement je n’en ai pas.

 

IRENA                 Et vous ne prenez pas mes coordonnées ? /Elle sort une carte de visite/

 

MARCEL             /Il la prend/ Bien sûr. Il faudrait que j’aille travailler. /Il veut partir/

 

IRENA                 Attendez, je veux vous dire quelque chose.

 

MARCEL             Oui ?

 

IRENA                 Vous savez... j’ai pensé que... Le gaz lacrymogène ne vous brûle pas les yeux ? Vous ne vous sentez pas paralysé ?

 

MARCEL             Non.

 

IRENA                 ... Je pense que je suis enceinte.

 

MARCEL             Ce n’est pas possible.

 

IRENA                 Et puis je ne m’appelle pas Iveta, mais Irena. J’avais peur que quelqu’un puisse découvrir...

 

MARCEL             Quoi ?

 

IRENA                 Que je cocufie mon mari. Mais maintenant ça m’est égal.

 

MARCEL             Et qu’est-ce que vous pensez qu’il fait, lui ?

 

IRENA                 Il ne me tromperait jamais, je le sais. Au bout du compte - moi non plus, si je ne vous avais pas rencontré.

 

MARCEL             Peut-être que si vous aviez été infidèles plus tôt, vous auriez des enfants depuis longtemps.

 

IRENA                 Peut-être que c’est en fin de compte un enfant de lui.

 

MARCEL             Et ce matin vous étiez, dans le magasin, maussade, simplement parce que vous n’avez pas eu vos menstruations. Vous ne pourrez  plus jamais déterminer la paternité de l’enfant. De toute manière – c’est vous la mère.

 

IRENA                 Il me semble que je vois en face sa voiture.

 

MARCEL             Il est certainement venu ici acheter du champagne, pour que vous fètiez cela dignement.

 

IRENA                 Nous faisons nos courses dans le même supermarché.

 

MARCEL             Mais à une heure différente, et chacun avec sa voiture. Peut-être que je l’ai déjà rencontré et

                             peut-être que c’est même mon ami...

 

IRENA                 Et vous étiez ensemble à l’école élémentaire, c’est ça ? /Elle rit/

 

MARCEL             /Il poursuit le jeu/ Ouais. Je lui ai toujours dit qu’il se trouve un... pour qu’il l’aide, vous comprenez... /Il se met aussi à rire/

 

IRENA                 Un psychothérapeute ?

 

MARCEL             Moi aussi je vous ai menti. Mon nom n’est pas Matiej, mais Marcel. Et vous n’étiez absolument pas la première, mais précisément la trois cent quatre-vingt deuxiéme.

 

IRENA                 Sérieusement ? 

 

MARCEL             C’est qu’il n’y a rien qui m’excite plus, que quand une fille canon pense que je ne l’ai encore jamais fait avec aucune.

 

IRENA                 Et ça a toujours marché ? Et si plus aucune ne vous croyait jamais ? Si j’étais la dernière ?

 

MARCEL             Alors ça devait être comme ça.

 

IRENA                 Écoutez, je parle maintenant relativement sérieusement - nous pourrions avoir un foyer commun, une famille, nous éleverions l’enfant...

 

MARCEL             C’est vous qui vous vouliez cet enfant - moi je ne tiens pas à un mioche.

 

IRENA                 J’arrêterais de travailler dans un bureau, nous déménagerions dans les montagnes ! Vous ne voulez pas tout de même restez seul toute la vie ? Qui est-ce qui vous fera le repassage et la lessive ?

 

MARCEL             Déjà quand on était sur le parking je me suis dit que vous étiez tarée. Je vous aurais fuit si vous ne m’aviez pas retenu. Votre mari est en face.

 

IRENA                 Il n’y a personne là-bas.

 

MARCEL             Alors attendez-le. Ou bien, vous savez quoi ? Moi, je vais vous le chercher, si  vous me dîtes à quoi il ressemble.

 

IRENA                 C’est votre problème.

 

MARCEL             Il faut vraiment que j’y aille.

 

IRENA                 Je me sens pas très bien.

 

MARCEL             J’ai cependant des obligations !

 

IRENA                 Moi aussi justement, je devrais encore retourner au travail et ensuite rentrer chez moi, préparer le dîner...

 

MARCEL             Vous voyez... alors mettez y vous dans la joie !

 

IRENA                 Je lui dirais ensuite que je suis gravide et...

 

MARCEL             Et vous allez arroser cela ! Bonne soirée !

 

Marcel sort de la voiture.

 

IRENA                 J’ai fait mes courses ce matin, je peux donc aller directement...

 

MARCEL             ... au travail et ensuite à la maison !

 

IRENA                 Ouais.

 

Irena démarre et recule d’une goutte.

 

MARCEL             Attendez, j’ai encore un pied dans la voiture.

 

Irena s’arrête, Marcel sort une jambe, claque la portière et salue de la main en dernier. Irena roule relativement bizarrement, comme si, sous l’influence de son indisposition, elle ne savait pas précisément ce qu’elle faisait. Fondu au noir. Bruits d’accident.     

 

Scène 12.

 

Josef et Bieta avancent à travers le magasin, captifs des caddies et des rayonnages de marchandises. De temps en temps, on entend les haut-parleurs diffuser : « Carrefour casse les prix ! » .  Ils s’arrêtent au milieu du champ de bataille.

 

BIETA                  Qu’est-ce que nous voulions au juste ?

 

JOSEF                Ce qui nous manque, justement ! Est-ce que nous ne connaissons pas cette dame là-bas ?

 

BIETA                  Ou cela ?

 

JOSEF                Là-bas. /Il montre du doigt la foule/

 

BIETA                  Comment je peux savoir ? C’est très loin.

 

JOSEF                Et surtout elle est partie.

 

BIETA                  On ne discerne rien dans cette foule.

 

JOSEF                On louche sur les rayonnages et on ne sait sur quoi sauter en premier. J’en transpire des mains.

 

BIETA                  Moi, j’en ai mal à la tête.

 

JOSEF                Et j’en ai l’estomac serré.

 

BIETA                  La peur des grands espaces – l’agoraphobie. Comme d’habitude. L’homme est seul même dans la foule. J’aimerais bien parler avec quelqu’un...

 

JOSEF                Si je me mettais à courir, j’arriverais peut-être à la rattraper.

 

BIETA                  Laisse tomber ou bien tu vas encore glisser.

 

JOSEF                Nous ne la reverrons peut-être plus jamais!

 

BIETA                  Tu l’as vu maintenant, cela doit te suffire. A quoi cela te servirait? Tu lui demanderais comment ça va, ce qu’elle fait, elle te demandrait elle-même la même chose, et vous vous sépareriez de nouveau. A quoi tout cela sert? /elle a du mal à se rappeller de quelque chose/ Qu’est-ce que je voulais ?

 

JOSEF                Tu vois, tu es déjà sclérosée.

 

BIETA                  Aujourd’hui c’est un peu trop pour moi. Je n’ai envie de rien acheter.

 

JOSEF                Oui, c’est trop.

 

BIETA                  Est-ce que ce n’était pas là-bas un monsieur que nous connaissons?

 

JOSEF                Je ne sais pas. Tu pense au quel?

 

BIETA                  Au chauve.

 

JOSEF                Je ne vois pas. J’ai laissé mes lunettes à la maison, tu sais?

 

BIETA                  C’est tout toi.

 

JOSEF                J’oublie toujours mes lunettes.

 

BIETA                  Et il est déjà parti.

 

JOSEF                Et c’était qui?

 

BIETA                  Tu ne le connais pas!

 

JOSEF                Comment tu peux le savoir? Tu as dit que c’était quelqu’un que « nous » connaissions.

 

BIETA                  Pourquoi je ne me suis pas précipitée à sa poursuite?

 

JOSEF                Qui sait, ce qu’il te voulait.

 

BIETA                  Qu’est-ce que je voulais, bon sang?

 

JOSEF                Comme s’il nous manquait toujours quelque chose!

 

BIETA                  Des mouches! Ils n’y ont pas de mouches!

 

JOSEF                En revanche les poissons surgelés sont ici comme des champignons après la pluie.

 

BIETA                  J’ai même vu des aquariums!

 

JOSEF                Ouais, c’est l’unique milieu vivant, autrement il y a partout des cadavres ici . Des charognes marines sanglantes, congelées et pourries. Même les aquariums seront un jour vide, il ne restera rien, tout sera vendu.

 

BIETA                  Ils en feront un logement social, tu sais?

 

JOSEF                Vraisemblablement il ne restera rien d’autre à faire.

 

BIETA                  Et moi, j’irais faire mes courses à l’épicerie du coin. Comme au temps de Staline, tu sais?

 

JOSEF                J’irais m’acheter là-bas un fromage puant ordinaire, des bouteilles de bière et des  cibiches tchèques sans filtre, mortelles.

 

BIETA                  Que ça soit là à nouveau!

 

JOSEF                De toute manière, nous vendrons tout, finalement.

 

BIETA                  Non, nous laisserons tout aux jeunes. Qu’ils en fassent ce qu’ils veulent.

 

JOSEF                Que personne ne les leur vole.

 

BIETA                  Grand Dieu, je ne peux pas me rappeller ce que je voulais.

 

JOSEF                Et si nous ne dépensions rien aujourd’hui?

 

BIETA                  Entendu - allons observer à la place le règne aquatique entre les écrevisses et les brochets.

 

JOSEF                Ou bien... je pourrais encore aller au rayon jouet pour acheter une petite voiture?

 

BIETA                  Mais c’est pour la dernière fois. Et puis nous nous assiérons dedans et...  

 

Scène 13.

 

Le lieu n’est pas spécifié. Il pourrait s’agir du parking ou d’une décharge de voitures.

 

IRENA                 Petr... je... je suis morte.

 

PETR                   Je... je sais.

 

IRENA                 Je... j’attendais un enfant.

 

PETR                   ... Quoi... comment cela?

 

IRENA                 Du calme, c’était pas avec toi.

 

PETR                   Ahh - bon...

 

IRENA                 Je voulais juste que tu le saches...

 

PETR                   Et – c’est tout?

 

IRENA                 Oui, c’est tout.

 

 

Scène 14.

 

Dans le jardin devant la maison de Joseph et Bieta.

 

BIETA                  Mon Doudou, enfin! Où étais-tu passé?

 

EDUARD             J’ai du venir en stop! Ca m’a un peu retardé.

 

BIETA                  On commençait à craindre que quelque chose ne te soit arrivé!

 

EDUARD             Pas à moi. Par bonheur. Il faudrait faucher ce champ.

 

JOSEF                 La faux t’attend dans le garage.

 

EDUARD             Vous auriez pu enfin acheter une tondeuse.

 

BIETA                  Une tondeuse, qu’est ce que je te disais! On l’a complètement oubliée!

 

EDUARD             /Il fixe un point devant lui/ Un jour, il ne restera pas même un pouce de terre libre...

 

BIETA                  Qu’est ce que tu dis? Ca va pas?

 

EDUARD             Et vous auriez aussi besoin d’une nouvelle voiture. Votre épave me rappelle ce que je préfères oublier.

 

JOSEF                 Ne soit pas impertinent et dépêche-toi plutôt d’aller prendre la faux.

 

EDUARD             La grande faucheuse, elle doit être là-bas! /Il s’en va./

 

BIETA                  /à Joseph/ Qu’est ce qui lui est arrivé?

 

 

Scène 15.

 

Marcel se tient au bord de la route, un sac sur le dos. Il fait du stop. La nuit tombe doucement. Bruit de l’autoroute. Deux point lumineux se dirigent froidement sur Marcel. Noir.

 

FIN